Fils de bonne famille
Ed Harcourt Here be monsters (2001, Heavenly/EMI)
Issu d’une riche et prestigieuse famille anglaise, Ed Harcourt allait faire le désespoir de ses parents en refusant d’embrasser une carrière digne de son illustre pedigree. Non seulement le petit Edward délaissa ses études pour la musique mais il lui vint la lubie d’écrire des chansons pop. Après une tentative vite avortée au sein d’un premier groupe anonyme (dénommé Snug), Ed Harcourt regagna son manoir perdu dans la campagne anglaise et entreprit de composer « quelques chansons suffisamment belles pour que [sa] famille soit fière de [lui] », comme il le confia à l’époque. On ignore ce que les parents Harcourt pensèrent des chansons de leur rejeton mais celles alignées sur ce premier album ont de quoi combler plus d’une âme sensible.
Ed Harcourt affiche sur ce Here be monsters une étonnante maturité doublée d’un indéniable culot. Un souffle racé parcourt ainsi une bonne partie des onze morceaux gravés ici, emplissant les meilleurs moments du disque d’un lyrismes sophistiqué d’une grande beauté. Entouré d’une fine équipe de producteurs de renom (Tim Holmes, David Fridmann et Gil Norton), Ed Harcourt évoque à son zénith les chefs-d’œuvre capiteux du génial Eric Matthews, la ressemblance de leurs deux timbres de voix renforçant encore la comparaison. Élégante et romantique, la musique d’Ed Harcourt porte en elle la solitude de son auteur, jeune esthète un peu hors du monde, poursuivant derrière les murs de son opulente bâtisse le rêve de la chanson pop parfaite. « I need to build a wall around me » chante-t-il ainsi sur le flamboyant God protect your soul, comme une confession glissée entre les notes.
Here be monsters brille en premier lieu par l’évidence de ses mélodies pop, avec en tête de gondole les mémorables She fell into my arms et Apple of my eye, qui imagine ce qu’aurait donné Divine Comedy s’il avait enregistré pour la Motown. Harcourt aligne aussi quelques formidables ballades, de la magnifique Something in my eye introductive, qui se lève comme une aube sur le disque, à la noctambule Wind through the trees dont la beauté tremblée irradie comme la flamme d’une bougie. Et si ce Here be monsters luxuriant ne parvient pas forcément à maintenir sa tenue tout du long (quelques scories polluent ainsi Shanghai ou Beneath the heart of darkness), il n’en demeure pas moins un premier album brillant, acte de naissance prometteur d’un songwriter peu banal.
Ed Harcourt confirmera la réussite de ce premier opus avec son successeur, à mon sens encore un cran au-dessus, le superbe From every sphere de 2003. Notre fils de bonne famille a depuis enregistré quatre autres albums, le dernier en date curieusement intitulé Lustre étant paru en 2010 mais j’avoue l’avoir quelque peu perdu de vue.
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[…] son Here be monsters de 2001, l’Anglais Ed Harcourt gagnait son billet pour entrer dans la confrérie des faiseurs […]