Le caméléon

Beck Mellow gold (1994, Geffen)

Beck - Mellow gold

Beck Hansen naît en 1970 à Los Angeles dans une famille déjà bien immergée dans le milieu artistique. Son père, David Campbell, travaille comme arrangeur et chef d’orchestre tandis que le grand-père maternel, Al Hansen, est un artiste conceptuel important, membre fondateur du mouvement Fluxus. Beck s’intéresse très jeune à la musique mais se passionne surtout pour le blues et le folk, à rebours des goûts plus « modernes » des jeunes hommes de son âge. Jouant dans les rues ou les bars, il est repéré par plusieurs labels au début des années 1990 et enregistre alors Loser et plusieurs autres morceaux. Ce n’est qu’en 1993 que le label Bong Load finit par sortir Loser en 45 tours et le morceau cartonne très vite, bénéficiant notamment du soutien prononcé des radios indépendantes de Los Angeles. Tout le monde se bat pour faire signer le petit prodige et c’est finalement le label Geffen qui remporte la mise, laissant cependant à Beck la possibilité d’enregistrer à sa guise des titres moins « commerciaux » avec d’autres labels.

Mellow gold est donc le premier véritable album de Beck, et le premier à sortir sur une major. Plus de quinze ans après, on reste encore sous le charme et sous le choc de ce disque fantastique, enregistré aux domiciles de différents amis. Beck réussit l’exploit de convoquer en douze chansons plus de cinquante ans de musique américaine, mêlant blues, folk, country, punk, hardcore, hip-hop et psychédélisme dans son chaudron magique et parvenant à s’approprier chacun de ces genres avec le même brio. Beck accole ensemble des éléments a priori incompatibles et livre un disque mutant, fascinant collage en or massif. Jamais l’ensemble ne verse dans l’exercice de style, Beck parvenant à lier ses ingrédients avec aplomb et s’appuyant sur un sens de l’humour suffisamment subtil pour ne pas paraître cynique ou distancié. Et le tout enregistré à la maison (ou plutôt celles des autres), sans béquille de production ultra-moderne, dans le plus pur esprit punk du « do-it-yourself ».

De ce roboratif patchwork ressort évidemment en premier l’extraordinaire Loser, avec son formidable mélange de guitare slide et de rythmique hip-hop, exemple idéal du génial crossover réalisé par notre jeune Blanc-Beck. Construit sur les fondations d’un morceau de Dr John, ce morceau figure aujourd’hui un évident classique, dont le refrain servira (un peu bêtement) d’étendard à toute une génération « slacker » (« branleur ») alors que Beck y voyait surtout une chanson potache visant d’abord à se moquer de lui-même. Une fois passé ce tube inusable placé en début d’album, le niveau ne redescend pas d’un iota. D’une ballade folk-blues plaçant Dylan sous Lexomil (Pay no mind) à l’imparable tube hip-hop Beercan, du blues glauque et superbe de Whiskeyclone, Hotel city 1997 à la délicatesse pop de Nitemare hippy girl, du défoulement hardcore de Motherfucker (à écouter en agitant la tête très fort, même avec les cheveux courts) au somptueux Black hole terminal, Beck se montre toujours à son avantage, véritable caméléon capable de se fondre dans tous les tons possibles.

1994 sera en tous cas l’année Beck avec la parution dans la foulée de deux autres albums sur des labels indépendants, le bordélique Stereopathetic soul manure et surtout l’exceptionnel One foot in the grave, collection de chansons blues et folk comme sorties tout droit d’enregistrements d’avant-guerre. Beck confirmera deux ans plus tard tout son potentiel avec l’ébouriffant Odelay, sans doute son acmé créatif. En 1998, ce sera le toujours réussi Mutations puis l’année suivante, le déjà moins convaincant Midnite vultures, exercice de style funk plutôt décevant à la longue. Beck reviendra en 2002 avec le déprimé Sea change qui nous laissera là aussi quelque peu sur notre faim malgré quelques très bons morceaux. On commence à bâiller sur un disque de Beck, ce qui nous aurait paru impensable quelques années auparavant.

J’avoue n’avoir pas écouté les derniers opus du bonhomme (de Guero à Modern guilt),  peut-être à tort, sans doute par crainte de voir que rien n’était plus comme avant. On n’oubliera pas cependant à quel point sa musique a pu compter à l’époque.

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