Au coin du feu
Beck Mutations (1998, Geffen)
Deux choses apparaissaient quasi-certaines avec le Beck des années 1990. La première, c’était qu’on ne savait jamais à quoi s’attendre tant le bonhomme se montrait maître dans l’art du contre-pied, en adepte des virages à 180° et des brusques changements de direction. La seconde, c’était qu’on n’était jamais déçu. Deux ans après l’avènement représenté par Odelay, Beck annonçait un disque de transition, enregistré en deux petites semaines avec son groupe de tournée et initialement destiné à paraître sur un petit label. On aurait pu s’attendre à un retour à l’esthétique lo-fi des premiers albums du bonhomme, on se retrouvait avec un album produit aux petits oignons par Nigel Godrich, alors en pleine gloire suite au carton du OK computer de Radiohead un an plus tôt. On aurait aussi pu imaginer voir le garçon suivre les multiples pistes ouvertes par le génial Odelay et continuer à user frénétiquement du copier-coller ; on héritait au contraire de son disque jusqu’à lors le plus cohérent stylistiquement.
When they dance in a reptile blaze / You wear a mask, an equatorial haze / Into the past, a colonial maze / Where there’s no more confetti to throw / You wouldn’t know what to say to yourself / Love is a poverty you couldn’t sell / Misery waits in vague hotels / To be evicted
Tropicalia
Là où Odelay se servait goulument dans l’armoire à ingrédients de la musique américaine pour préparer les cocktails les plus jubilatoires et mettre une joyeuse pagaille, Mutations donne à voir un Beck étonnamment sur la retenue. Le Californien laisse complètement de côté les sonorités hip-hop et les samples pour renouer avec ses influences blues, folk et country, celles qui irriguaient déjà le formidable One foot in the grave. Mais Mutations délaisse la rusticité nue pour une sorte de classicisme tranquille. L’album se déroule dans une drôle d’atmosphère cotonneuse, tantôt enjôleuse, tantôt mélancolique, mais toujours franchement hospitalière. Alors au sommet de son art de songwriter, Beck se livre à une démonstration à la fluidité éclatante, remisant la plupart de ses gimmicks comme pour mieux afficher qu’il n’en était pas prisonnier et confirmant s’il en était besoin qu’il était un auteur-compositeur de tout premier ordre.
A final curse / Abandoned hearse / We ride disowned / Corroded to the bone
Cold brains
La majorité des chansons de Mutations navigue dans un registre folk-blues-country, auquel Beck adjoint une sensibilité pop nouvelle, un goût pour la mélodie bien troussée à chantonner sous la douche. Le Cold brains introductif donne le ton avec sa mollesse bancale droit sortie du répertoire dylanien et la suite est à l’avenant. Avec Canceled check, Beck livre un petit bijou de folk flemmard et Bottle of blues ferait une bande-son idéale pour une ballade en décapotable dans le désert californien, une sorte d’On the road again (celui de Canned Heat) en plus décontracté. Sur O Maria, Beck revêt les habits classieux du crooner de saloon pour une ballade romantique à souhait. L’humeur du disque se fait néanmoins plus sombre à de nombreuses reprises, de gros papillons noirs se posant sur l’épaule de Beck pendant Nobody’s fault but my own ou Sing it again. Mais la sobriété de l’ensemble n’empêche pas la fantaisie. Beck laisse traîner de-ci de-là des marques de loufoquerie, du final de Canceled check au jouissif et déjanté Diamond bollocks (le bien nommé). Avec Tropicalia, Beck démontre que sa culture musicale dépasse de loin le cadre nord-américain et délivre un chef-d’œuvre de calypso irrésistiblement entraînant. Finalement, c’est peut-être le morceau Static qui reflète le mieux l’humeur du disque, avec sa torpeur cosy, son odeur de feu de bois et de couette douillette et sur lequel Beck entonne ce qui pourrait résumer tout Mutations “It’s a perfect day to lock yourself inside”. Voir l’électron libre azimuté de Odelay et de Mellow gold en tenant du “Home, sweet home” : on ne pouvait décidément s’attendre à rien avec ce drôle de zigoto.
A town of disrespect / The trains are wrecked / The night is younger then us / Nowhere is anywhere else / You keep to yourself
Sing it again
Ce dont on ne se doutait pas à l’époque, c’est que Mutations demeurerait le dernier grand disque du Californien. Malgré leurs qualités (réelles), ni Midnite vultures, ni Sea change, ni Guero ne m’ont pleinement convaincu. J’ai depuis manqué quelques épisodes de la discographie du bonhomme, donc je ferais peut-être amende honorable si Morning phase ou Modern guilt parviennent à me faire changer d’avis.
3 réponses
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[…] l’ébouriffant Odelay, sans doute son acmé créatif. En 1998, ce sera le toujours réussi Mutations puis l’année suivante, le déjà moins convaincant Midnite vultures, exercice de style funk […]