Gordon Gano Hitting the ground (2002, Cooking Vinyl)
Il est toujours agréable de redécouvrir un disque qu’on avait oublié, à tout le moins négligé. Ce premier album de Gordon Gano était ainsi consciencieusement remisé dans un recoin de mon cerveau, ses meilleurs morceaux végétant en fin de je ne sais plus quel CD gravé, réduit au rang d’appendice de l’ album d’un autre artiste qui, lui, avait droit d’occuper le premier plan. Je fredonnais bien de temps en temps la mélodie bourrue du morceau-titre, électrisé à merveille par la grande PJ Harvey, mais les autres chansons m’étaient sorties de la tête. S’il serait excessif de parler de chef-d’œuvre caché, Hitting the ground mérite qu’on s’y attarde plus en longueur, alignant quelques belles réussites qui valent quand même le détour.
I was beaten up, I was beaten down / By my life and a photographic sound / I was filled with love, I was filled with rage / My life book swith the turning of it’s page
Hitting the ground
Je ne m’attarderai pas outre-mesure sur la carrière discographique de Gordon Gano, sur laquelle j’aurai peut-être l’occasion de revenir un jour. Pour les béotien·ne·s, le sieur Gano fut aux commandes des Violent Femmes, groupe de Milwaukee qui fit paraître au mitan des années 1980 quelques disques à l’urgence bouillonnante, mélange roboratif de folk et de punk-rock, qui leur confèrent aujourd’hui une place de choix dans l’histoire de l’indie-rock américain. Du côté de la musique d’ici, on notera que les Violent Femmes ont constitué une influence majeure sur les premiers pas de Louise Attaque, le groupe ayant même réussi à s’attacher les services de Gano pour produire son premier album éponyme. Les Violent Femmes sont encore actifs aujourd’hui, leur dernier opus remontant à 2019 et, pour celles et ceux qui voudraient en savoir plus, vous pouvez aller voir par là. Mais, revenons à nos moutons. A la différence de ces ex-leaders de groupe pressés de sortir des compromis collectifs pour occuper le devant de la scène en solo, Gordon Gano faisait avec son premier album un choix plus original. Si c’est bien lui qu’on retrouve à la composition des morceaux et qui publie le disque sous son nom, le bonhomme se positionne davantage en chef d’orchestre qu’en tête de gondole. Sur Hitting the ground, Gordon Gano invite en effet une pléthore de musiciens et musiciennes inspirés et inspirants, influences et héros d’hier et d’aujourd’hui, chacun s’appropriant les mots et la musique du maître de maison et pouvant s’autoriser à s’investir dans l’écriture des textes ou dans la production. Le concept pourrait paraître fumeux et un casting de rêve ne vaut que si la mise en scène se montre à la hauteur. Fort heureusement, tout ce petit monde parvient à relever le gant et à construire un ensemble, certes disparate, mais de fort bonne tenue.
This year’s baby not gonna wet his booty / This year’s screamer gonna sniff too tooty / Plurality of duty, singularity of beauty / This little baby gets queer for big hot booty
Catch ’em in the act
Il faut dire que Gordon Gano a su réunir autour de lui un aréopage impressionnant, avec en tête d’affiche rien moins que Lou Reed et John Cale. Les deux frères ennemis du Velvet n’éclipsent néanmoins pas le reste du casting, où figurent notamment PJ Harvey, Frank Black, Linda Perry, Mary Lou Lord ou Martha Wainwright. Du beau monde donc pour un résultat qui s’avère tout à fait probant. Dès l’entame, PJ Harvey habite avec ce qu’il faut d’élégance et de brutalité un Hitting the ground bagarreur et cagneux, pour au final un morceau très « pattismithien ». Les interprètes féminines sont particulièrement mises en valeur ici, avec la mélancolie ondoyante de Linda Perry sur le très beau So it goes ou avec la fragilité gracieuse de Mary Lou Lord sur un Oh wonder qui évoque les titres les plus apaisés de la grande Lisa Germano. Plus loin, Gano s’acoquine avec les They Might Be Giants pour un Darlin’ Allison aux accents 50’s charmants. Quant aux contributions respectives de Lou Reed et John Cale, c’est pour le coup le premier nommé qui remporte la mise avec un Caught ’em in the act aux relents funky et aux guitares hargneuses trempées dans le goudron. Le trop hiératique Don’t pretend de John Cale ne tient pas la comparaison. Il fait partie de ces quelques titres plus dispensables, comme ce Run à la frénésie un peu convenue ou ce Merry Christmas brother qui peine à décoller. Le facétieux It’s money , pour anodin qu’il soit, finit quand même par emporter le morceau pour la forme de joie de vivre qui s’en dégage. Globalement, c’est d’ailleurs ce plaisir de jouer qui fait le charme de cet album aux faux airs de compilation. Gordon Gano semble s’être réellement amusé à se mettre au service de ses prestigieux comparses et ces vibrations très positives se propagent jusqu’à l’auditeur.
I want you to rise / Above the tides / I see in your eyes / That love will bites / Your love and cries for more love
Hitting the ground donc, « toucher le sol » : l’atterrissage se fera plutôt en douceur après un vol agréable. Pas de voltiges ni de vertiges mais un bon moment passé au-dessus du plancher des vaches.