Contes du soleil et de la brume

Smog Red apple falls (1997, Drag City)

Bill Callahan commence à enregistrer sous le nom de Smog dès la fin des années 1980. Le jeune homme réalise d’abord une série de cassettes faites maison qu’il diffuse par lui-même et sur lesquelles il couche l’expression musicale d’une psyché visiblement tourmentée. Ancrées dans une esthétique lo-fi alors en vogue, ces cassettes auto-produites permettent à Smog de décrocher un contrat avec le label Drag City qui publie un premier LP en 1992, Forgotten foundation. A partir du langage primitif de ses premiers opus, le songwriting de Callahan va progressivement gagner en ampleur pour installer Smog comme un des groupes les plus touchants de son époque. Après les formidables Wild love (1995) et The doctor came at dawn (1996) dont il a déjà été question ici, Red apple falls constitue à mon sens un premier acmé dans la trajectoire de Callahan.

Après les paysages glacés et l’acoustique en hivernage de The doctor came at dawn, Bill Callahan fait entrer dans ses chansons des effluves inattendus, du moins pour ceux qui persistaient à ne voir en lui – parfois avec délectation – qu’un songwriter en souffrance, sombre héros de l’amer ressassant son malheur à coups de tête contre les murs de ses tourments. Loin de nuire à la force émotionnelle des morceaux, ces infiltrations d’espace et de lumière ne font que souligner la grandeur de l’écriture de Callahan, proprement en lévitation tout du long de ce véritable chef-d’œuvre. Si la tonalité demeure grave, l’espoir s’invite maintenant à la table de Smog, perçant le brouillard et réchauffant l’atmosphère. Callahan concèdera lui-même à l’époque avoir réalisé avec Red apple falls son « premier disque de printemps ».

Et c’est effectivement le printemps que l’on sent poindre dès ce Morning paper initial. Si le morceau débute sous un ciel bas (« The morning paper is on its way / It’s all bad news on every page ») que quelques notes de guitares ressassées suffisent à crayonner, un piano dégingandée et un cor percent les nuages pour joliment faire dérailler l’ensemble. Au fil du disque, on croisera ainsi cette alternance de soleil et de grisaille, d’ondées froides (To be of use ou Red apples) et d’éclaircies régénérantes (Ex-con, I was a stranger). On assistera surtout à l’avènement d’un songwriter en majesté, capable de conférer à la facture relativement classique de Blood red bird une intensité impensable, de dégainer la country stellaire d’I was a stranger ou d’envoyer le Velvet à la campagne le temps d’un Ex-con impérial.

Et comme on ne saurait dire mieux, on conclura sur cette citation extraite de l’article de Gilles Dupuy paru dans Les Inrockuptibles lors de la sortie de ce disque merveilleux :

Parce qu’on en est là, terrassé par le spectacle bouleversant d’un homme qui, à défaut de pouvoir dire correctement son tourment, se serait donné comme dessein d’en tirer la quintessence.

On ne s’en est pas encore relevé…

4 commentaires sur « Contes du soleil et de la brume »

  1. effectivement tjrs pas remis de cet album que je remets régulièrement. Le timbre, la noirceur, le lo-fi gras, la guitare nue.. comme tu dis acmé.

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