Le monde selon Bush
Kate Bush Director’s cut – collector’s edition [coffret 3 CD] (2011, Noble & Brite)
Pour rattraper ces quelques jours de vacances et d’absence blogueuse concomitante, j’offrirai à mes estimés lecteurs sans nul doute languissants un retour en fanfare puisqu’il sera question aujourd’hui non pas d’un, non pas de deux, mais bien de trois albums pour le prix d’un (enfin… façon de parler).
J’avais jusqu’à lors croisé la route de Kate Bush de façon épisodique, par la grâce de quelques chansons magistrales et intrigantes. Ce fut d’abord dès mes 10 ans ce Running up that hill fiévreux, peut-être le seul de mes 45 tours d’enfance que je pourrais encore acheter un quart de siècle plus tard. Ce fut quelques années après la découverte de Wuthering heights » chanson baroque et aérienne qui propulsa sur le devant de la scène et en haut des charts cette étonnante jeune Anglaise d’à peine 18 ans, et qui allait marquer les débuts de l’aura quasi mystique qui semble entourer depuis la musicienne. Ce fut aussi le fantastique Cloudbusting dont la mélodie lancinante, opiniâtre et bouleversante résonne sans fin à mes oreilles. Je n’avais cependant jamais pris la peine d’écouter un album entier de la dame, me contentant de la compilation The whole story dont les aspects les plus vaporeux et théâtraux me rebutaient quelque peu. Le nom de Kate Bush étant revenu en bonne place dans les gazettes suite à la sortie (acclamée) de son 50 words for snow de l’an dernier, ma curiosité en fut piquée ; les bibliothèques permettant les hasards heureux, l’opportunité d’emprunter ce Director’s cut était donc particulièrement bienvenue.
Que trouve-t-on donc dans ce coffret paru l’an dernier ? Deux albums originaux de Kate Bush : The sensual world (1989) et The red shoes (1993) et un disque composite – Director’s cut – proposant une relecture et une réorchestration de plusieurs chansons extraites des deux albums sus-dits.
The sensual world paraît quatre ans après le succès mondial de Running up that hill et de l’album Hounds of love. A mon oreille de béotien en l’œuvre de Kate Bush, ce disque apparaît quelque peu mi-figue mi-raisin. La production sonne datée et les inspirations world de la dame tombent parfois à plat. Dans la lignée des travaux de son ami Peter Gabriel, Miss Bush cherche en effet à insuffler dans son univers musical des sonorités plus diverses, allant notamment puiser dans le folklore celtique (Alan Stivell apparaissant sur plusieurs morceaux) ou du côté de l’Europe centrale, le Trio bulgare apportant ses voix sur plusieurs titres. Le disque comporte d’indéniables réussites tel l’introductif The sensual world, érotique et troublant, ou l’émouvant The fog. On retiendra aussi les superbes Never be mine et surtout This woman’s work, évocation de l’attente d’un futur père devant la salle d’accouchement dans l’attente angoissée de la suite des événements. A côté de ces morceaux remarquables, on regrettera des titres moins brillants, à la patine grisée par le temps ou aux synthés un peu rustauds comme ces peu digestes Rocket’s tail, Reaching out ou Love and anger.
Sorti quatre ans après The sensual world, The red shoes (en référence au film de Michael Powell du même nom) est souvent désigné par les amateurs de Kate Bush comme son disque le moins réussi. Curieusement, mon impression est plutôt positive et j’aurais tendance à le préférer à son prédécesseur. Le disque s’ouvre sur le primesautier Rubberband girl qui évoque les titres les plus bubble-gum de Prince, Prince que l’on retrouve d’ailleurs sur Why should I love you ? L’atmosphère musicale reste assez proche de celle de The sensual world avec ces mélodies vaporeuses, ces synthés enveloppants (parfois un peu agaçants), une sensualité et une féminité très présentes. L’album est empli de références bibliques, comme sur le magnifique The song of Solomon ou ce Lily comme porté par des courants ascensionnels qui en appelle aux anges protecteurs des Écritures saintes. Avec Moments of pleasure, Kate Bush livre un hommage dépouillé au piano à plusieurs amis disparus, sans pathos mais avec une grande élégance. On appréciera aussi les airs caribéens de Eat the music qui ne dépareillerait pas dans la discographie de Vampire Weekend, ou le scintillement céleste de Top of the city.
L’album recevra un accueil plutôt mitigé sans que l’aura entourant Kate Bush n’en soit trop affectée. Il faudra attendre douze ans avant que la dame n’enregistre un nouvel album, douze années consacrées à ses enfants et à une vie privée très protégée à la campagne anglaise. Au fil de ces années, l’influence de Kate Bush ne cessera d’apparaître de plus en plus évidente, de PJ Harvey à Camille, de Björk à Sinead O’Connor. Accordons quand même quelques instants à ce Director’s cut à proprement parler, cette relecture de plusieurs morceaux des deux albums précités, ce nouveau montage visant à gommer les insuffisances de la production originale ou d’autres imperfections laissant Kate Bush sur sa faim. Director’s cut permet déjà à Kate Bush de livrer une nouvelle version du morceau The sensual world rebaptisé Flower of the mountain et intégrant cette fois le texte de James Joyce que les ayants-droits de l’auteur lui avaient interdit d’utiliser en 1989. Certaines relectures n’apportent que des aménagements mineurs : The song of Solomon demeure toujours aussi belle, This woman’s work s’épure et se dilate. On entend aussi que la voix de Kate Bush n’est plus tout à fait la même, se fait plus grave, moins férue d’acrobaties (l’effet normal de l’âge sans doute). On retiendra surtout la transformation du bondissant Rubberband girl en blues-rock stonien, que n’aurait pas renié la Liz Phair des débuts.
Cette première incursion dans la discographie bushienne aura présenté en tous cas suffisamment d’attraits pour donner l’envie d’aller plus loin. Avec dix albums studio depuis 1978, il y a de quoi faire…