La monstrueuse parade
Pulp Freaks (1986, Fire Records)
A quinze ans, Jarvis Cocker, enfant de Sheffield, peu riante cité du nord de l’Angleterre, se rêve nouvelle star pour sortir du rang. Il fonde un groupe avec des camarades de collège, Arabicus Pulp, très vite rebaptisé Pulp. Cocker parvient à faire passer une maquette au célèbre John Peel qui offre au groupe une session à la fin de l’année 1981, mais le tremplin espéré ne débouche sur rien. Face à l’insuccès, les membres du groupe choisissent de retourner à leurs études, Cocker seul persévérant dans ses rêves de gloire. Il rassemble donc de nouveaux musiciens autour de lui et ce Pulp deuxième mouture fait paraître un premier album en 1983, It. Encore une fois, rien ne se passe et Pulp se désagrège à nouveau, laissant encore une fois Cocker face à ses rêves inassouvis. Farouche et obstiné, il remet une troisième fois l’ouvrage sur le métier, recomposant le groupe en s’adjoignant notamment les services du violoniste Russell Senior et de la claviériste Candida Doyle. Après plusieurs 45 tours, le groupe fait paraître cet incroyable deuxième album en 1986.
Avec ce disque étouffant, justement sous-titré “Ten stories about power, claustrophobia, suffocation and holding hands”, c’est comme si Jarvis Cocker choisissait d’expurger sa soif de reconnaissance en dix morceaux d’une musique névrotique et tourmentée. Cocker trouve ici un équilibre idéal entre premier degré et distance salvatrice, sachant exprimer ses désirs et ses frustrations les plus profondes, les plus inconfortables avec un sens de la dramaturgie parfaitement consommé. C’est bien à une monstrueuse parade que l’auditeur est convié, voyant défiler paranoïa (Being followed home), bile noire (Life must be so wonderful), désir dévorant (I want you) et mégalomanie (Master of the universe), Cocker menant cette effrayante revue d’une main de maître. Pulp s’inspire des traits rouge et noir du post-punk, et notamment de la rage époustouflante du Pornography de Cure, mais Cocker y instille également son goût pour la musique de cabaret et les torch-songs fiévreuses, jouées dans un music-hall de sombre impasse.
Dès l’introductif Fairground, Jarvis Cocker installe le malaise, à la fois Monsieur Loyal et spectateur effaré d’une effrayante foire aux atrocités. Sur le génial Being followed home, Pulp affiche un sens de la dramaturgie impressionnant, ménageant parfaitement les effets presque cinématographiques de cette histoire haletante et paranoïaque. Impossible également de résister au charme vénéneux des ballades malades que sont I want you et Life must be so wonderful, tout d’éblouissante noirceur. La folie compulsive semble s’emparer du groupe sur Master of the universe ou The never-ending story et ses stridences synthétiques. Pulp ne relâche la tension que le temps d’un Don’t you know faussement innocent, avant de nous embarquer au final pour la lente et magnifique dérive de They suffocate at night.
Encore une fois (et fort logiquement il faut l’admettre tant il paraît malaisé) ce disque infectieux ne rencontrera aucun succès public. Pendant plusieurs années, Cocker sera tenté d’abandonner, Pulp se trouvant au bord de la disparition pure et simple. Et puis, grâce au single My legendary girlfriend, Pulp pourra faire paraître Separations en 1992. C’est avec His’n’hers que Pulp décrochera véritablement la timbale en 1994, le groupe étant alors rattaché au mouvement brit-pop, Cocker mettant désormais en avant son goût pour le glam et une pop à la fois dansante et touchante, de par l’honnêteté de ses textes. Surfant sur la vague, Pulp explosera les ventes en 1995 avec le flashy Different class. Les idées noires reviendront alors habiter la musique du groupe sur l’immense This is hardcore de 1998. Le groupe s’offrira un superbe dernier baroud avec We love life en 2001. Jarvis Cocker mène depuis une carrière solo que j’avoue ne pas encore connaître. Parions que le plaisir est à venir…
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[…] chef-d’oeuvre mégalomane occupe une place de choix sur l’époustouflant premier album du groupe de Jarvis Cocker. Emphatique, d’une puissance dramatique peu commune, Master of the […]