Les grands fonds
Red House Painters Red House Painters [I] (1993, 4AD)
A la fin des années 1980, Mark Kozelek, jeune homme originaire du Midwest, forme les Red House Painters et s’installe à San Francisco. Le groupe est rapidement remarqué par Mark Eitzel, l’ombrageux leader d’American Music Club, qui en homme de goût, le prend sous son aile et parvient à lui dénicher un contrat chez les Anglais de 4AD. En 1992 paraît un premier EP, Down colourful hill et en 1993, le groupe sort de studio avec suffisamment de chansons pour nourrir deux albums qui sortent coup sur coup. Ce geste déjà peu en phase avec les lois du marketing est encore renforcé par un habillage des plus austères, aucun des deux disques n’ayant de titre sous leurs pochettes sépia aux ressemblances troublantes. Dès lors, ils seront communément dénommés I et II, ou parfois Rollercoaster et Bridge, en référence aux photographies ornant leurs emballages.
En ce début des années 1990, un imposant voile noir semble s’être abattu sur San Francisco. Des quatre coins de la ville sort une armée de groupes éclopés, trimbalant son mal-être le long de disques magnifiques. Swell, American Music Club, Mazzy Star et d’autres font retentir sur les oreilles envoûtées de leurs auditeurs un somptueux bourdon, dangereusement addictif. Parmi cette troupe de haute volée, les Red House Painters hisse encore un peu plus haut le flambeau d’une musique belle à pleurer. Empruntant autant au folk boisé qu’aux frimas de la cold-wave, la musique des Red House Painters alterne perles folk-pop dignes du panthéon du genre et longues plages tourmentées, évoquant les à-plats ultérieurs de Sigur Ros ou autres Godspeed. Au cœur de cette musique, la voix chaude de Kozelek égrène des textes magnifiques et douloureux, ne masquant rien des failles béantes qui semblent parcourir l’âme de leur auteur.
La moitié de l’album se constitue donc de chansons folk d’un niveau exceptionnel, planant à des hauteurs vertigineuses tout en remuant les cœurs en profondeur. De l’immense Grace cathedral park, étoile scintillante intouchable, aux splendides Take me out et Things mean a lot, Kozelek semble touché par la grâce, ses chansons irradiant d’une lumière étonnante malgré le poids qu’elles semblent porter. On a toujours su la mélancolie addictive et l’écoute de ces morceaux ne fait que le confirmer. On retiendra aussi le splendide Mistress, livré d’abord en version saturée puis dépouillé au piano, encore plus immense et cruel dans cette nudité (“The attention I need is much more serious / The kind of weight you couldn’t lift / Even if your cheap career depended on it / I need someone much more mysterious / To be my mistress” ) . Sur son autre versant, la musique de Kozelek se traîne en longues ballades lentes et pénétrantes. Dans ce registre, le groupe livre un chef-d’œuvre absolu avec l’incroyable Katy song, longue dérive qui vous emporte au large, loin et seul, la terre s’éloignant peu à peu de votre radeau. On retiendra aussi l’impressionnant Mother, comme une tempête filmée au ralenti, chaque creux et chaque vague n’en prenant que plus de force encore.
Avec cet album, les Red House Painters livrent donc un disque de grands fonds, plein de mystère et de beauté, dégageant cette lumière qu’on imagine parfois trouver dans les abysses, jaillissant de l’obscurité pour éclairer un univers différent. La suite de l’aventure sera aussi pavée de beautés, la musique de Kozelek semblant cependant s’ouvrir davantage au monde au fil des magnifiques Ocean beach et Songs for a blue guitar. Oublié par le succès, le groupe disparaitra dans l’anonymat au début des années 2000, Kozelek ayant depuis repris la main avec Sun Kil Moon, son nouveau groupe au vilain nom de dictateur coréen.
2 réponses
[…] et de la country pour en affirmer la suprême vitalité. De Will Oldham (Palace) à Mark Kozelek (Red House Painters), de Mark Eitzel (American Music Club) à Bill Callahan (Smog), de Beck à Mazzy Star, une cohorte […]
[…] ; elle brillait comme une flamme vacillante sous le crachin ; elle remontait directement des grands fonds où semblaient parfois vouloir sombrer corps et biens la voix et l’âme de Mark Kozelek. On a […]