L’astre vagabond
Christophe Comm’ si la terre penchait (2001, Epic/Sony)
Avant ma découverte de cet album, mes connaissances sur Christophe se résumaient à un drôle d’assemblage d’images et de chansons, duquel il m’était bien difficile de tirer une quelconque cohérence. Collectionneur de juke-boxes et de vieux disques de blues, amateur de belles voitures et pote d’Alan Vega, auteur des ringards Aline ou Ne raccroche pas (hommage pas très glorieux à Stéphanie de Monaco) mais aussi de l’impérial Les mots bleus, il était bien malaisé de situer ce bonhomme, semblant évoluer en permanence sur un fil ténu entre kitsch et classe. Et puis, un jour, ce fut l’écoute de « J’aime l’ennui » à la radio, la lecture d’une critique laudative, puis l’écoute du disque, et là, la grosse claque (pour parler comme notre cher Laurent Boyer) .
Comment aurais-je pu m’attendre à ça, ce disque inclassable et barré, sidéral et sidérant? Christophe délivre ici un imposant disque-planète, dont l’attraction vous capte et vous maintient ensuite en orbite autour de lui, abandonné à la contemplation éblouie des teintes et des nuances de sa lumière stellaire. Foin de lyrisme, Christophe navigue ici à des hauteurs rarement fréquentées par un artiste français, croisant dans les parages d’autres intrépides corsaires solitaires tels Björk ou Robert Wyatt.
Difficile en tout cas de décrire la musique rassemblée sur ces onze chansons, croisement d’une beauté affolante entre rock spatial, electronica, influences blues et chanson grand style. L’album commence par Elle dit elle dit elle dit, psalmodie superbe et décalée (« Elle dit, elle dit, elle dit / Parfois de grosses conneries / Et je ris, je ris, je ris ») . Avec La man, Christophe revêt son habit de lumière une première fois, se hissant à la hauteur des rêves somptueux qu’il prête à sa protagoniste. Vient ensuite J’aime l’ennui et ses basses rebondies, puis le scintillant Ces petits luxes. Le niveau monte alors de plusieurs crans encore avec ce Comme un interdit tuant de beauté et de poésie lyrique, combinant texte sublime, écrin de cordes précieuses et voix en majesté. Nuage d’or vient réveiller les vieux fantômes des bluesmen chéris par Christophe sur fond de souvenirs d’enfance égrenés comme autant d’images mentales. Avec L’enfer commence avec L, Christophe invente le slow du siècle nouveau et atteint le point d’orgue de l’album avec l’époustouflant On achève bien les autos, pièce érotique sur fond d’orage mécanique, comme Crash de Cronenberg filmé au crépuscule: « Je sens ton sexe éclaboussé / De diamants éclatés par milliers / Le jaune devient gris orangé / L’air a ce parfum d’essence évaporée » . Survient ensuite le titre éponyme, morceau mouvant et émouvant comme on n’en trouve que chez Wyatt ou Radiohead puis l’énergique Voir, bel hommage stylé à Isabella Rossellini. Le disque s’achève par un instrumental presque trip-hop, qu’on aurait pu écouter chez Morcheeba.
Au final, Christophe démontrait ici qu’il était bien d’un bois différent, astre vagabond errant dans une galaxie bien à lui. Son dernier opus, Aimer ce que nous sommes, paru l’an dernier, confirme selon moi son immense stature.
4 réponses
[…] ans après l’immense Comm’ si la terre penchait, dont j’ai déjà parlé ici même, Christophe revenait l’an dernier démontrer qu’il était loin d’avoir perdu la […]
[…] découverte de son Bevilacqua de 1996, s’est trouvée ô combien renforcée par le prodigieux Comm’ si la terre penchait publié à l’orée de ce siècle, et qui demeure aujourd’hui encore un de mes disques […]
[…] exercice de haute voltige tiré d’un des albums en langue française les plus sidérants qu’il soit, Comme un interdit déploie un fascinant romantisme grandiose qui n’a pas fini de nous […]
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