Lambchop en 10 morceaux

Lambchop © Markus Werner
Lambchop © Markus Werner

Promis, la prochaine fois, je passerai à autre chose. La révision complète de la discographie de Lambchop – cette autre grande œuvre wagnérienne – ces dernières semaines m’a donné l’envie de renouer avec un exercice que j’avais quelque peu délaissé depuis quelques temps dans ces pages, à savoir celui du florilège subjectif. Ce ne fut guère aisé, tant le groupe de Nashville a semé, depuis ses débuts en 1994 et au fil de ses onze ou douze albums studio, nombre de perles et de chansons belles à tomber. Je me suis finalement arrêté sur ces dix-là – il fallait bien choisir – mais j’espère qu’elles donneront envie au lecteur béotien d’aller lui aussi se frotter aux charmes infinis de la musique du groupe. Quant à ceux déjà connaisseurs des albums de Lambchop, ils pourront librement confronter leurs préférences aux miennes.

1. Let’s go bowling (1994, Jack’s tulips)

Même plus de vingt ans après, ce morceau exceptionnel constitue toujours pour moi le sommet de la discographie wagnérienne. Sur un disque déjà excellent malgré quelques longueurs, Let’s go bowling dévoilait la quintessence de l’art du groupe, cette façon d’assembler l’opulence et la fragilité. Chanson en tremblement permanent bruissant d’un souffle de vie à la fois rageur et désespéré, Let’s go bowling dresse le sombre portrait d’une relation en déconfiture, joué avec au cœur la colère de ceux qui savent perdre quelque chose de précieux sans pouvoir le retenir. Le chant de Wagner est bouleversant du début à la fin et on termine l’écoute à chaque fois complètement retourné. Déchirant.

2. What else could it be ? (2000, Nixon)

J’écrivais pas plus tard que la semaine dernière que Nixon constituait à mes yeux l’acmé de la discographie du groupe jusqu’à maintenant et vous ne serez donc pas surpris qu’il soit particulièrement représenté dans cette sélection. What else could it be ? incarne comme la quintessence jubilatoire des ébats alors mis sur pied par le groupe entre la soul et la country. Wagner habille sa voix d’un falsetto « Princier » et drape son morceau d’arrangements de cordes somptueux comme on en n’avait pas entendu depuis What’s going on. C’est fluide, c’est splendide, c’est joyeux et proprement étincelant : un pur chef-d’œuvre tout simplement.

3. My new cobweb summer (2002, Is a woman)

Après l’opulence et l’exubérance de Nixon, Lambchop revenait en 2002 avec un disque à l’opposé, baigné d’une lumière pâle comme un jour d’hiver. Le résultat s’avérait pareillement somptueux. Cette lente ballade au piano semble couler comme une larme sur la joue, qui perlerait doucement au coin de l’œil avant d’entamer une lente descente sur les reliefs de la peau. La beauté fracassante de cette musique se révèle donc aussi dans sa nudité.

4. Up with people (2000, Nixon)

Considéré aujourd’hui comme un « classique » du groupe (si j’ose dire), Up with people est sans doute le morceau qui traduit le mieux l’espèce d’euphorie dans laquelle semble baigner tout entier le génial Nixon. Rarement autant qu’ici aura-t-on entendu un groupe respirer la joie de jouer, dans une communion irrésistiblement entraînante. Lambchop contracte une fièvre incontrôlable, mariant le gospel et la soul, mais sans se départir pour autant d’une espèce de retenue classieuse. On finira immanquablement par tenter d’imiter avec la bouche la mélodie soufflée haut par les trompettes en fin de morceau, la tête dans les étoiles et le cœur battant, un sourire béat accroché au visage. Que du bonheur, on vous dit !

5. Prepared (2006, Damaged)

Catalogué comme fer de lance de l’  » alternative country », Lambchop n’aura en fait jamais fait que creuser son sillon, se rêvant tour à tour Garth Brooks, Townes Van Zandt, Sinatra, Curtis Mayfield, Nick Cave ou les Tindersticks. Sur le magnifique Damaged  de 2006, Wagner livre cette torch-song grandiose, à faire pâlir d’envie le pourtant excellent Richard Hawley : les cordes enflent et gonflent nos cœurs transis, le chant de Wagner demeure toujours aussi proche de nous et le morceau finit par nous envelopper de sa grâce confondante avant de s’évanouir comme un frisson sur la peau. Un ange est passé.

6. Steve Mc Queen (2004, Aw c’mon)

Les deux albums jumeaux parus en 2004, Aw c’mon et No you c’mon ne constituent pas mes pièces préférées de la discographie de Lambchop mais ce diable de Wagner trouve quand même le moyen d’y placer cette merveille de morceau. La guitare du bonhomme trace le chemin et les cordes s’occupent de la lumière, ouvrant de formidables trouées dans les frondaisons. Et quand la voix de Wagner se fend d’un déchirant « Oh take me serious », tout s’éclaire et nous terrasse. Ces artisans ont des mains d’or.

7. Autumn’s vicar (2002, Is a woman)

Autre temps fort d’un disque qui n’en manque pas, cet Autumn’s vicar fait scintiller les notes autour de ses silences, à la manière des grands maîtres en la matière que furent les Nits ou Mark Hollis. Dans cette musique, tout ce qui se passe entre les notes est aussi important que celles-ci. Et l’auditeur se prend à dériver lentement sur une rivière légèrement embrumée, le soleil perçant de temps en temps pour faire chatoyer les couleurs automnales qui habillent les arbres. La vie se suspend et se retire un instant, fuyant et pleurant à la fois les douleurs qui l’assaillent. Bouleversant.

8. Grumpus (2000, Nixon)

Encore un morceau typique de la frénésie communicative qui habite Nixon. La joie est toujours là et le groupe, en orfèvre, confectionne un fabuleux drapé de cuivres et de cordes, la Gibson de Kurt Wagner s’occupant à mener la danse. Soufflant et irrésistible.

9. All smiles and mariachi (1996, How I quit smoking)

Encore un petit miracle avec cet extrait du très réussi How I quit smoking de 1996. La chanson s’ouvre comme le jour se lève ou comme une fleur éclot et on retrouve Wagner au restaurant pour un repas galant qui semble peu à peu sombrer dans l’ennui. Lambchop mêle ici comme souvent la poésie et la trivialité et dévoile une autre de ses plus irrésistibles qualités : cette façon d’être toujours un peu de côté, de regarder le monde avec un point de vue différent, éclairant des zones d’ombre qu’on aurait pu négliger dans le tableau. Le fait que Wagner ait longtemps voulu se consacrer à la peinture n’y est sans doute pas étranger.

10. The old gold shoe (2000, Nixon)

On terminera cette sélection avec la sublime ouverture de Nixon, cette chanson qui avance son train de sénateur et fait passer sous nos yeux une suite de moments captés sur le vif par le regard acéré de Kurt Wagner. La slide épouse les cordes et le mariage nous met la larme à l’œil. Le monde brille d’un éclat différent et le groupe révèle tous ses trésors : tendresse, délicatesse, subtilité.

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