The land of Hope
Hope Sandoval & the Warm Inventions Bavarian fruit bread (2001, Rough Trade / Sanctuary)
Après Chan Marshall la semaine dernière, je reviendrai ce soir sur une autre voix qui a compté (et compte encore) dans mon parcours d’amateur de musique. Rien ne rapproche pourtant (ou si peu) Cat Power de Mazzy Star – le groupe dont Hope Sandoval fut et demeure le fascinant pôle d’attraction – si ce n’est peut-être cette faculté de confirmer l’éternelle actualité d’idiomes anciens (le blues, le folk, le rock psychédélique) quand ils sont pris en bouche avec talent. Mais là où Cat Power affiche une proximité bouleversante et semble ne mettre aucun filtre entre elle et l’auditeur (du moins sur ses albums de la période 1995-2003), Hope Sandoval s’est toujours plu à dresser entre elle et le monde un voile de mystère fascinant et impénétrable, David Roback bâtissant autour de sa voix un palais labyrinthique et fastueux.
She’s got a smile like a flower / She looks so fine by the hour / And her mind aches / And her heart breaks / ’cause she’s silly
Charlotte
Le temps de trois albums captivants et capiteux – dont un chef-d’œuvre certifié avec So tonight that I might see – Mazzy Star déploya entre 1990 et 1996 son charme torpide et vénéneux, se constituant une cohorte de fervents admirateurs avides de déposer leur obole aux pieds de cette sorte de prêtresse païenne que pouvait figurer Sandoval. Le troisième opus du groupe – Among my swan – avait néanmoins laissé entrevoir des signes (légers) d’essoufflement et on ne fut guère surpris d’apprendre que Mazzy Star décidait de se mettre entre parenthèses peu après la sortie de l’album. Le couple (à la ville comme à la scène) Roback / Sandoval se délitait et chacun entreprit d’aller vivre pour un temps sa vie artistique ailleurs. La jeune femme réalisa quelques featurings de bon goût (Jesus & Mary Chain, The Chemical Brothers…) et entreprit de former un nouveau groupe avec Colm O’Ciosoig, le batteur d’un autre groupe en pause indéterminée, My Bloody Valentine. Un premier EP parut en 2000 puis la nouvelle formation enregistra ce Bavarian fruit bread qui atterrit dans les bacs en 2001.
Suzanne is waiting at your doorway / But all she does is waste your time / And she looks just like my sister / But she feels just like my man
Suzanne
Mazzy Star n’a jamais montré grande appétence pour les révolutions de palais et les zigzags stylistiques. Coquillage sur son rocher, le groupe se plaisait à laisser les vagues s’abattre autour de lui et à se concentrer sur son art sans prêter attention à l’agitation du monde. Même dans un nouveau projet, Hope Sandoval n’affiche pas non plus des velléités révolutionnaires et continue d’habiter un univers musical bien à elle. On retrouve donc évidemment une part des ingrédients utilisés pour préparer les philtres envoûtants de Mazzy Star. On distingue ainsi quelques unes des influences qui forment l’ADN de Mazzy Star : de Dylan à Leonard Cohen en passant par le troisième album inusable du Velvet Underground. Évidemment, l’empreinte vocale unique de Sandoval constitue un atout maître pour le charme de cette musique. Sensuelle et boudeuse, recueillie et langoureuse, caressante et profonde, la voix de la jeune femme demeure une arme de séduction massive et on parierait que la jeune femme serait capable de rendre sexy jusqu’à Tata yoyo. Cependant, si Mazzy Star continue de hanter la musique jouée, chantée et composée par Sandoval avec son nouveau groupe, Bavarian fruit bread n’est pas pour autant un quatrième album caché du duo. Privée des sortilèges psychédéliques de Dave Roback, Hope Sandoval embrasse plus clairement un registre folk sobre et pur. Et si Mazzy Star habitait un palais ou un temple, Hope Sandoval & the Warm Inventions semble loger dans une maison de bois au bord d’un lac, où on entend les oiseaux chanter et où le soir tombe comme un plaid sur les épaules. Ce n’est pas un hasard si la jeune femme s’attache les services du légendaire Bert Jansch qui vient jouer de la guitare sur deux morceaux.
I’m gonna drive you straight to tears / I’m gonna spend all of my money / Making you cry
Bavarian fruit bead
La beauté cristalline de Bavarian fruit bread scintille de fort belle façon dès l’orée du disque, avec le doux ressac qui fait joliment tanguer une reprise transcendée du Drop de Jesus & Mary Chain. Sandoval donne ensuite naissance à sa propre Suzanne qui, sans faire de l’ombre à celle de Cohen, s’élève néanmoins à de fort respectables hauteurs sur les ailes tintinnabulantes d’un glockenspiel céleste. La beauté étale de Butterfly mornings se rapproche des atmosphères brumeuses de Mazzy Star puis le groupe se fend d’un On the low tout en déhanché ralenti, merveille de sensualité engourdie. Plus loin, Hope Sandoval se fend d’un Charlotte songeur et vaguement inquiétant, accompagnée de la guitare de Bert Jansch pour ce qui est peut-être le plus fascinant morceau de l’album. Le problème est que l’intégralité de l’album ne maintient pas ce niveau sur la durée. Dans sa deuxième moitié, le disque patine un peu et sans être désagréables, ces Feeling of gaze, Around my smile ou Lose me on the way nous perdent justement un brin en chemin. Ces moments plus faibles ne suffisent pas à entacher les beautés que recèle Bavarian fruit bread mais en affaiblissent les mérites tout en ramenant forcément la comparaison avec Mazzy Star sur le tapis.
I found you in the corner / Down there sitting on the seat / Gonna trace your footsteps / Underneath the waves / On the petals of a wild flower
Butterfly mornings
Ces limites expliquent sans doute pourquoi j’avais un peu oublié jusqu’à récemment ce Bavarian fruit bread dans un coin de ma discothèque mais je suis quand même ravi d’avoir redécouvert ces Charlotte et ces Suzanne. Elles expliquent peut-être aussi pourquoi je suis passé à côté des deux albums publiés depuis par Hope Sandoval et ses Warm Inventions, Through the devil softly de 2009 et Until the hunter sorti en fin d’année dernière. Il faudra que je vois de quoi il retourne.
1 réponse
[…] deux albums sous son nom accompagné d’un groupe dénommé les Warm Inventions, le très beau Bavarian fruit bread en 2001 et Through the devil softly (2009) que je ne connais pas. On recroisera Roback par-ci […]