Réchauffement climatique
Red House Painters Ocean beach (1995, 4AD)
On a toujours vu la lumière dans les chansons des Red House Painters. Elle perçait sous les brumes sépia qui enveloppaient ces paysages faussement assoupis ; elle brillait comme une flamme vacillante sous le crachin ; elle remontait directement des grands fonds où semblaient parfois vouloir sombrer corps et biens la voix et l’âme de Mark Kozelek. On a toujours vu les lueurs qu’irradiait cette insondable mélancolie quand tant d’autres ne semblaient percevoir que noirceur ou grisaille. Et c’est sans doute cette façon unique de mêler le clair à l’obscur qui fait que ces Katy song, ces Mistress, ces Grace cathedral park demeureront vraisemblablement jusqu’au bout des phares inextinguibles, des boussoles flottantes pour nos cœurs dérivants.
Summer dress separates you from the rest / Easiest days of her life have been spent / Wonders if she is loved, if she is missed / Says a prayer as she’s kissed by ocean mist / Takes herself to the sand and dreams
Summer dress
On a toujours vu la lumière dans les chansons des Red House Painters mais on ne s’attendait pas forcément à y trouver le soleil printanier qui baigne Cabezon, l’instrumental primesautier qui ouvre ce quatrième album du groupe de San Francisco. Après le givre et les frimas, parfois même les icebergs, des précédents opus du combo, ce morceau introductif laisse présager d’un véritable dégel, d’une forme de réchauffement climatique. Et effectivement, Ocean beach donne à entendre un Kozelek plus ouvert, moins distant que sur ses chefs-d’œuvre d’encre noire passés. Le groupe laisse entrer de l’air dans un intérieur qui menaçait de l’étouffer (et nous avec) et nous révèle une fantaisie que l’on ne soupçonnait pas. Ce goût du jeu se retrouve ainsi sur l’introductif Cabezon pré-cité, mais il illumine aussi le génial Over my head, merveille de souplesse jazzy qui peu à peu sort du cadre et s’en va prendre la tangente. On entend même Kozelek sourire et c’est nouveau. Sur San Geronimo, le bonhomme trempe un souvenir de jeunesse dans un bain de guitares fuzz pour une fascinante dérive cinématique. Avec”Shadows, les Red House Painters se fendent d’une ballade au piano magique et magistrale, où la voix profonde et immuable de Mark Kozelek semble comme éclairée à la bougie, laissant voir derrière elle toutes les ombres et les failles qui habitent le bonhomme.
And I know what you face in the night / And I know you’ll be alright
Over my head
Pour être moins pesante, l’ambiance n’est pas pour autant à la franche rigolade et Kozelek ne s’est pas changé en Kid Creole. Le bonhomme à l’air grave continue de charrier avec lui ses amours intranquilles, son obsession maladive du temps qui passe et qui détruit, cette éternelle mélancolie à regarder le présent s’écouler sans cesse entre les doigts comme une poignée de sable fin. La voix de Kozelek demeure cette fascinante vigie, celle à laquelle on s’accrochait dans les méandres des précédents albums quand tout sombrait, et qui pourrait si l’on n’y prenait garde masquer les insondables beautés de cette musique, telle celle qui rayonne tristement le temps du magistral Summer dress avec son violoncelle élégiaque et aérien. Cerises amères sur le gâteau, Kozelek place en fin d’album deux morceaux longs et lents dont il a le secret et dont le charme contemplatif et hypnotique s’insinue en nous pour mettre le doigt juste sur nos fêlures. Ce sera ce Moments qui débute clairière folk pour finir forêt touffue, emplie de ronces et d’échardes, rincée sous un orage de distorsions. Ce sera enfin le bouleversant Drop terminal, dont la confortable langueur masque à peine les épines blessantes qui parsèment les mots de Mark Kozelek.
All the love in an instant / Makes my life stop / But then my hate for you / Makes my feelings altogether drop
Drop
Ocean beach constitue un des sommets de la discographie de Mark Kozelek, avec ou sans les Red House Painters. C’est donc un disque auquel on revient régulièrement et auprès duquel on aime à se blottir de loin en loin, toujours à la recherche de cette drôle de lumière qui ne cesse de nous révéler à nous-mêmes.
1 réponse
[…] la musique de Kozelek semblant cependant s’ouvrir davantage au monde au fil des magnifiques Ocean beach et Songs for a blue guitar. Oublié par le succès, le groupe disparaitra dans l’anonymat au […]