Damon lover
Blur Think tank (2003, EMI)
A l’époque où Blur cassait la baraque – au milieu des années 1990 – en tant que fer de lance du mouvement brit pop, se livrant à un fastidieux concours de bites avec Oasis, je ne m’intéressais pas à eux, préférant de loin les merveilleux tourments d’une americana désolée (Will Oldham, Vic Chesnutt…) ou les acrobaties sans filet de têtes brûlées et chercheuses naviguant dans les eaux du rock et de la pop, de PJ Harvey à Jeff Buckley en passant par Pavement.
Au fil des années, j’eus des nouvelles du groupe par presse interposée, suivant leur distanciation progressive de la ligne brit-pop vers d’autres cieux mais rien n’accrocha vraiment mon oreille avant que Damon Albarn ne se lance dans l’aventure Gorillaz. Avec ce nouveau groupe, Albarn semblait enfin assouvir ses envies d’ailleurs, sortant du pré carré de la brit-pop pour revendiquer haut et fort ses amours libres avec le rap, l’électro, le dub ou les musiques du monde (ses premières collaborations avec des musiciens maliens datent d’ailleurs de cette période si je ne m’abuse) .
Avec Think tank, Blur allait définitivement abattre toutes mes préventions. Au prix de la mise au rencart du cofondateur du groupe, le guitariste Graham Coxon, Damon Albarn prend ici seul les manettes et embarque Blur vers de nouveaux et excitants terrains de jeux. Loin de l’arrogance d’antan et du cynisme affiché, Albarn livre ici un disque humble, ouvert et charnel, réussissant à mêler parfaitement classicisme et modernité, baignant un sens mélodique impeccable dans une eau foisonnante d’inventivité sonore. Le disque impressionne dès l’introductif Ambulance, quelque part entre Massive Attack et My Bloody Valentine, Blur donnant un méchant coup de jeune aux tentatives bruitistes qui marquèrent le début de sa carrière. Albarn réussit surtout à aligner une série de morceaux géniaux, s’imposant à nos oreilles et à nos cœurs comme autant de classiques instantanés. Par ordre d’apparition, on trouve ainsi l’épatant et classieux Out of time, le merveilleux Good song, parangon de fragilité gracieuse, le foisonnant et mélancolique On the way to the club et surtout, l’extraordinaire Sweet song, ballade belle à pleurer qui fait resurgir en nous un petit cœur meurtri d’enfant perdu. Si la teinte de l’album est globalement mélancolique, Albarn n’hésite pas non plus à allumer quelques beaux pétards avec le déjanté We’ve got a file on you ou le génial Jets, instrumental dégingandé qu’un saxophone malade tire vers la sortie de route.
Après avoir écouté ce disque remarquable, j’ai essayé de me replonger dans l’œuvre antérieure de Blur mais l’écoute du pénible The great escape (1995) m’a un peu refroidi. Albarn a sorti en 2005 un deuxième album de Gorillaz confirmant ses nouvelles inclinations. Reste à savoir maintenant où le mèneront ses désirs et ses envies.