Mauvais sang
Vic Chesnutt Drunk (1994, Pinnacle)
Encore un disque de l’Amérique dépressive. A l’instar de Mark Eitzel ou Smog, Vic Chesnutt fait partie de cette génération de musiciens américains apparue au milieu des années 1990, renouvelant le folk, le blues ou la country et s’en servant pour exposer leurs plaies et bosses et produire une musique à la fois lumineuse et déprimée, chacun dans son genre.
Vic Chesnutt présente d’abord un parcours des plus plombés: adolescent dans le Sud profond des États-Unis, il rejette la bêtise et l’inculture de ses condisciples, fait une première tentative de suicide à 14 ans, et navigue entre alcool et abus de drogues jusqu’à ce qu’un accident de voiture (alors qu’il était ivre) le prive de l’usage de ses jambes. Les bonnes fées se penchent finalement un jour sur son sort quand il rencontre Michael Stipe, leader de REM, qui le pousse en studio et lui permet de démarrer sa carrière. Il sort son premier album Little en 1989 puis West of Rome en 1991, deux albums que je ne connais pas. Drunk est le troisième album du bonhomme.
Le parcours de Vic Chesnutt pourrait lui permettre de remplir douze albums de complaintes tristes et éplorées mais rien de cela dans sa musique. Au contraire, avec une voix nasillarde rappelant fortement Dylan, Vic Chesnutt se démarque par un style rude et sans concessions, féroce et ironique, n’hésitant jamais à user de l’autodérision pour décrire abruptement ses propres travers. Sa musique, raclant jusqu’à l’os le folk, le blues et la country se révèle ainsi des plus poignantes. Drunk est ainsi un disque souvent inconfortable pour l’auditeur, bousculé par la force des compositions nues de Chesnutt: le râle tordant au milieu de Bourgeois and biblical par exemple s’avère particulièrement poignant. Mais Chesnutt ne cherche jamais à se faire plaindre, juste à s’exposer.
Sleeping man, morceau qui ouvre l’album, nous montre ainsi un Vic Chesnutt nerveux et revêche, comme du Swell en plus dénudé. Au fil du disque, très homogène, Vic Chesnutt dévide ses chansons sans complaisance, n’hésitant pas à dépeindre ses addictions comme sur Gluefoot: “Cross my heart/ Cross my eyes/ Stick a needle in my thigh”. J’accorderai une mention spéciale à l’entêtant “Sleeping man” (dont 2 versions figurent sur l’album) et aux splendides et bouleversants One of many (“You’re only one of many / A small account if any / You think about yourself too much” ), Supernatural et Kick my ass (qui sera repris plus tard par Garbage).
Vic Chesnutt va se hisser au septième ciel avec son album suivant Is the actor happy? (1995) qui reste encore aujourd’hui un de mes disques préférés de tous les temps (dans les 50 meilleurs à coup sûr). Ce qui est curieux, c’est qu’après About to choke paru en 1996, j’ai complètement perdu de vue Vic Chesnutt alors que j’aimais beaucoup son travail. Et en réécoutant ses disques aujourd’hui, je demeure admiratif. En 1998, il a sorti un album en collaboration avec Lambchop The salesman and Bernadette que je n’ai pas écouté puis son label le virera ce qui rendra sa distribution en France des plus aléatoires. Quand il aura refait surface en 2003 avec Silver lake, je serai en train de m’intéresser à d’autres et je n’ai pas pris la peine de chercher à écouter ses albums.
En écoute une version nue de Supernatural enregistrée pour les sessions acoustiques du Cargo.fr.