Points de vue d’une femme en exil
Liz Phair Exile in Guyville (1993, Matador)
Liz Phair naît en 1967 et grandit dans une famille adoptive aisée en banlieue de Chicago. Après des études d’art, elle se pique d’intérêt pour le rock indépendant et commence à fréquenter différents musiciens, naviguant entre San Francisco et Chicago. Elle enregistre finalement une série de cassettes de démos sous le nom de Girlysound et l’une d’entre elles atterrit dans les bureaux du label Matador qui lui propose un contrat. Entrée en studio à la fin de 1992, elle en ressort avec cet Exile in Guyville qui fit alors beaucoup parler.
Je connaissais cet album depuis une bonne quinzaine d’années mais je l’ai véritablement redécouvert ces dernières semaines, après l’avoir acheté d’occasion sur l’étal d’une brocante du coin. C’est peu dire que j’avais sous-estimé les qualités de ce disque remarquable, qui valut à son auteure reconnaissance critique, un certain succès public (200 000 exemplaires vendus aux USA à l’époque) mais aussi son lot de jalousies. A la sortie d’Exile in Guyville, Phair le présente comme une réponse féminine au mythique Exile on Main Street des Rolling Stones. Difficile de prendre ces déclarations au pied de la lettre quand on connaît un minimum les deux albums. Il est évident en revanche que ce disque revendique un point de vue féminin, voire féministe, affirmé. A l’occasion de la réédition d’Exile in Guyville en 2008, Liz Phair déclarait au Village Voice que le terme « Guyville » recouvrait alors pour elle la scène rock indé de Chicago, petit cénacle auto-centré et quasi-uniment masculin. Elle souhaite alors renverser la perspective, montrer qu’une fille peut aussi prendre sa place dans cette scène-là et proposer son point de vue sur les relations amoureuses, la sexualité, la musique, etc. ; son regard depuis l’exil en quelque sorte. Si quelques notions de culture rock suffisent pour savoir que bien d’autres filles avant elles avaient su exister dans l’univers masculin du rock (Patti Smith, Janis Joplin, les Slits, PJ Harvey, etc.), l’influence de Liz Phair sera néanmoins bien réelle sur toute une génération de filles « à guitares », souvent pas vraiment pour le meilleur d’ailleurs (Sheryl Crow, Alanis Morrissette).
Assistée de son fidèle collaborateur Brad Wood (production, guitares, percussions, batterie…), Liz Phair réussit le tour de force d’un album à la fois bien ancré dans un genre (le rock indé américain pour faire court) mais sachant en sublimer les limites. Si beaucoup se focalisèrent sur quelques paroles ouvertement sexuelles de ce disque, c’est bien sa qualité musicale qui impressionne, sa force brute et sèche et son inventivité avec des moyens réduits. Liz Phair s’émancipe ainsi bien souvent de la structure couplet-refrain pour « dire » ses chansons en toute liberté, les nourrissant de ses frustrations, ses fêlures et ses relations compliquées avec les hommes et l’amour en général. Les morceaux les plus convaincants apparaissent alors comme coupés au cordeau, tout de tensions et de souplesse mêlées, du Stonien Mesmerizing au formidable Divorce song en passant par le prodigieux Fuck and run, noyant sa solitude sous les à-coups d’une dynamique nerveuse et angoissée. Liz Phair sait aussi sortir brillamment du cadre comme sur la suave gravité du magnifique Glory (sur lequel son chant grave fait merveille), l’aquatique et troublant Canary ou l’épatant Flower, sur lequel elle débite des paroles pleines de crudité sexuelle comme on réciterait une comptine, sa voix se dédoublant par ailleurs pour interpréter un écho un drôle de chœur païen (« Everytime I see your face / I get all wet / Between my legs »).
Album important et imposant, Exile on Guyville est aujourd’hui encore fréquemment cité dans les palmarès divers de la presse rock internationale (n°30 dans le classement des 100 meilleurs disques des années 1990 du site Pitchfork par exemple). La suite de la carrière de Miss Phair sera beaucoup moins linéaire que ne semblaient le promettre ces brillants débuts. Liz Phair enchaîna avec un deuxième opus de bonne facture, Whip smart dès 1994. Quatre ans et un bébé plus tard, Liz Phair fit paraître Whitechocolatespaceegg que je ne connais pas. Signée sur une major, Phair évolua alors vers des sphères beaucoup plus commerciales, s’acoquinant par exemple avec le producteur d’Avril Lavigne pour ses deux disques suivants Liz Phair (2003) et Somebody’s miracle en 2005. La dame semble aujourd’hui encore chercher sa voie, admettant par exemple avoir perdu la main sur sa carrière durant son passage chez Capitol. On la revit récemment à l’anniversaire du label Matador faire une apparition sur scène avec deux titres d’Exile in Guyville, comme une façon de renouer peut-être avec son passé.
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