Du soleil plein les yeux
Brent Cash How will I know if I’m awake (2008, Marina Records)
Je ne connaissais rien de Brent Cash – et a fortiori, de cet album – avant d’avoir lu avec bonheur le deuxième volume de L’anti-discothèque idéale du précieux Christophe Conte. Si je suis loin d’avoir pris la peine de me pencher sur l’ensemble des disques recensés dans ce savoureux ouvrage, le premier opus de ce musicien originaire d’Athens, Géorgie (formidable pépinière de songwriters de premier ordre) constitue depuis sa découverte une source revigorante dans laquelle j’ai grand plaisir à me plonger régulièrement. J’insisterai d’ailleurs volontiers sur la métaphore, tant cette musique est de celle qui vous baigne et vous enveloppe, à l’instar de la lumière qui inonde en contre-jour le sieur Brent Cash sur la très belle pochette de ce disque.
I sit a while and think of you / I sit and turn my thoughts to you / I know thе answer lies with you
Everything that’s grey
Après plusieurs années à jouer les batteurs dans des groupes obscurs de la scène indie-rock US, Brent Cash se dévoilait en plein soleil avec ce disque résolument hors du temps, allant puiser à satiété dans le meilleur d’une pop orchestrale des années 1960-1970, mêlant richesse des arrangements, finesse des mélodies et délicatesse des harmonies (et réciproquement). Bien loin des sonorités dominantes, Brent Cash s’emploie à cultiver un artisanat pop aux idées larges, à la fois modeste et audacieux. Le bonhomme recourt ainsi à une vaste palette d’instruments (cuivres, cordes, claviers) pour bâtir une sorte de palais idéal, peuplé de rêveries et de mélodies suaves. L’ensemble baigne dans une atmosphère cotonneuse, comme si la lumière vive figurant sur la pochette venait recouvrir les chansons et rendre leurs contours flous, indistincts. Se produit ainsi un charmant dérèglement des sens, l’auditeur balançant sans cesse entre la mélancolie et l’euphorie, ce Happy sad magnifié à l’époque par le grand Tim Buckley. Aucun passéisme de surcroît dans ces chansons de diamantaire, juste l’amour d’un musicien de grand talent pour un genre loin des goûts du jour, mais toujours capable de générer son lot de sensations fortes.
What a shame that you’ll never know / Never know what it’s like to be / Watching you walk through any door / You’ll never ever see what I see
When the world stops turning
L’album s’ouvre en fanfare avec un Everything that’s grey qu’on pourrait croire sorti des sessions de l’intouchable Odessey and oracle des Zombies, morceau pavé de romantisme candide, dont les acrobaties multicolores se veulent un antidote nécessaire à la grisaille ambiante. L’album affiche en permanence ses influences haut de gamme, de Brian Wilson à Burt Bacharach en passant par le meilleur du soft-rock californien. Le bonhomme se révèle aussi à l’aise sur la cavalcade débridée de Only time que sur des tempos plus lents, comme le magnifiquement nébuleux And had we ever… (aux harmonies vocales somptueuses) ou sur la bossa gracile de This sea, these waves. A d’autres moments, Brent Cash bâtit d’imposantes constructions, à la prestance vertigineuse, à l’instar du fantastique When the world stops turning ou sur l’exceptionnel More than everything final, véritable symphonie céleste qui semble chevaucher les nuages avec une grâce absolue. On retiendra aussi le somptueux Love is burning down tonight, au romantisme cramé à faire tomber les bouclettes de Tobias Jesso Jr. En moins de trente-cinq minutes, Brent Cash aura donc troussé un disque de haute tenue, à la fluidité irréelle, véhicule idéal pour transcender par la beauté les pesanteurs du quotidien.
‘Cause love is burnin’ down tonight / There’s no place where you can hide / Tomorrow there’ll be ashes in the air
Love is burning down tonight
On n’aime rien tant que ces francs-tireurs entêtés, garçons bien mis d’allure timide révélant derrière leurs habits bien repassés et leur goûts datés une appétence pour les acrobaties mélodiques et les montagnes russes musicales. Brent Cash s’inscrit droit dans cette lignée, à l’instar d’un Colin Blunstone ou d’un Eric Matthews, et les deux albums qu’il a fait paraître depuis, que je n’ai fait qu’aborder, montrent qu’il n’a pas l’intention de changer. Pour notre bonheur.