Sur les forces motrices
The War On Drugs Slave ambient (2011, Secretly Canadian)
Quand je me retournerai sur ces semaines étranges de vie confinée – dans des conditions pour ma part vraiment privilégiées, du moins jusqu’à maintenant – , je verrai sans doute défiler sous mes paupières les paysages en mouvement de Best night, chanson iridescente qui ouvre le deuxième album des Américains de War On Drugs comme des phares ouvrent une route. Des semaines maintenant que ce morceau passe et repasse dans mon cerveau, antienne obsédante taillée dans le drap de la nuit. Curieux comme parfois, une chanson que l’on connaissait déjà se pare soudain de nouveaux atours et acquiert une toute autre dimension au gré des événements d’une vie.
In a dream you point a knife / In another dream you die / It’s just a dream that we had once / That went down in the night
Best night
Mais, foin de ces considérations, c’est bien dans son intégralité que ce Slave ambient mérite toute notre attention et toute notre affection. The War On Drugs se forme en 2005 du côté de Philadelphie, par la volonté commune de deux fortes personnalités, Adam Granduciel et un certain Kurt Vile, dont il a déjà été question dans ces pages. Après un premier album remarqué paru en 2008, Wagonwheel blues, Vile décide de se lancer dans une carrière solo qui le consacrera comme l’un des songwriters importants de la décennie 2010. Granduciel poursuit sa route de son côté et avec un line-up bouleversé, fait paraître en 2011 ce deuxième opus qui allait marquer les débuts de l’ascension de son groupe, qui deviendra lui aussi une figure majeure du rock “indé” de ces dix dernières années.
I’ve been on the look for a quiet place / It’s not far from off the range, baby / Take me back to the one I love / It’s not far, it’s on the way
Come to the city
Sur ce Slave ambient, le groupe d’Adam Granduciel poursuit sur la lancée de son premier album mais acquiert une nouvelle ampleur. The War On Drugs continue de puiser son inspiration chez les grandes figures du rock et du folk US, affichant clairement les influences de Bruce Springsteen ou Bob Dylan. Mais, loin de toute révérence par trop obséquieuse, Granduciel et sa bande s’en vont confronter ces imposantes influences à d’autres pans moins fréquentés de leur discothèque, allant chercher aussi bien du côté du psychédélisme embrumé du shoegaze anglais que des escapades électriques d’un groupe comme Sonic Youth. La musique de War On Drugs semble ainsi solidement campée entre tradition et modernité, se revendiquant d’un héritage des plus classiques sans jamais fermer la porte aux airs de l’époque. Les boucles et bidouillages sonores accompagnent ainsi avec bonheur une instrumentation bien plus ancrée dans la tradition folk-rock, claviers, guitare et harmonica. De ces chansons émane surtout une formidable force motrice, toutes paraissant résolument taillées pour aller de l’avant, à toute berzingue (Your love is calling my name) ou sur un train de sénateur (I was there), traversant la pluie fine (Best night) ou exultant sous des trombes d’eau (Come to the city).
Remember me when you dissolve in the rain
Black water falls
When the rivers run dry through the cold mountain range
Si Best night demeure à mes yeux le véritable joyau de Slave ambient, ouvrant le chemin sous un écrin de guitares argentées, le reste de l’album ne manque pas de moments aptes à relever la saveur des jours de confinement. Brothers traverse les grandes plaines sous haut patronage dylanien, rutilant et rêveur. I was there ralentit le tempo sans perdre une once de charme, déployant au contraire des boucles hypnotiques, comme une improbable rencontre entre Slowdive et The Band. Your love is calling my name révèle une énergie débordante, portée par une rythmique quasi-robotique qui finit par emporter le tout comme un torrent qui enfle. Come to the city choisit lui aussi la voie de l’ampleur et parvient à se tirer haut-la-main d’une tendance à l’emphase qui aurait pu se révéler casse-gueule. Cette profondeur de champ manque un peu en revanche à It’s your destiny qui menace de basculer vers un lyrisme mal gaulé de trop de chansons de U2. Sur Baby missiles, Granduciel réussit un étonnant mélange entre Springsteen et le Dire Straits des débuts, pour une sorte de twist mutant quelque part entre blues-rock et post-punk. Et, après un instrumental dispensable, l’album se clôt sur un Black water falls crépusculaire et rayonnant, comme la vision d’un feu d’artifice tiré sur l’horizon.
I ride the freeway down by the harbor / I catch a strong wind through my mind / Just keep it running, I’ll take it over
Your love is calling my name
Slave ambient allait finalement s’avérer le premier étage d’une fusée qui allait laisser un sillage marquant dans la musique des années 2010. Trois ans plus tard, Adam Granduciel reviendrait avec un Lost in the dream qui réussirait l’exploit de gagner simultanément en ampleur et en acuité. Je connais moins le dernier album en date du groupe, A deeper understanding, mais mes premières impressions sont prometteuses. Nous finirons bien par y revenir un jour, en espérant être sortis d’ici là.
1 réponse
[…] alors que le confinement semblait vouloir nous coller au bitume, ce morceau ouvrant le remarquable Slave ambient du groupe de Philadelphie ne cessait de me hanter, imposant dans mon quotidien immobilisé son […]