Pôles opposés et vertus cardinales
Cardinal Cardinal (1994, Flydaddy)
Après avoir déjà évoqué ici les (formidables) aventures solo de Richard Davies et Eric Matthews, il est peut-être temps de se pencher aujourd’hui sur leur éphémère et néanmoins marquante collaboration au sein de Cardinal. Au début des années 1990 (1992 ou 1993), Richard Davies, songwriter australien leader des Moles, rencontre à Boston Eric Matthews, compositeur en devenir doté d’un impressionnant background classique. Les deux hommes se découvrent rapidement de réelles affinités artistiques, se revendiquant d’une pop haut de gamme richement orchestrée à une époque où le grunge brûle ses derniers feux et où la lo-fi domine la scène rock indépendante. A contre-courant, Matthews et Davies décident de s’associer au sein de Cardinal pour donner forme à leurs inspirations baroques.
Le résultat de cette collaboration fructueuse s’avère tout bonnement grandiose, fascinante confrontation entre la glace (Matthews) et le feu (Davies), ou plutôt entre l’eau et la lumière, le bleu et le jaune. Aux humeurs bilieuses et aux compositions chausse-trapes de Davies, Matthews offre un écrin d’arrangements enveloppants, recouvrant la fièvre palpable émanant des morceaux de son acolyte d’un halo bleuté. Un simple regard sur la pochette de l’album pourrait suffire à caractériser les deux musiciens: on y voit les deux hommes marchant côte à côte dans un coin de verdure. Eric Matthews s’avance droit face à l’objectif, le regard franc et l’allure fière, très propre sur lui dans ses vêtements soignés de gendre idéal. Davies semble plus renfrogné, le regard de côté, comme à l’affût d’un ailleurs situé hors cadre, vers les herbes folles et les bois obscurs.
En un peu plus d’une demie-heure, le duo a le temps d’exécuter quelques fabuleuses acrobaties aériennes et bucoliques, déclinant un éventail de nuances et de couleurs riche et profond. Le glorieux If you believe in Christmas trees introductif résonne presque comme une déclaration d’intention: « Listen to the sound / That makes the world go round » avant d’affirmer plus loin « No ordinary song could reach the place where I come from ». C’est ce parfum d’idéal qui exsude des meilleurs titres du disque tels l’impressionnant Big mink ou le bouleversant You’ve lost me there, morceau crépusculaire et délicat d’une finesse rare. Derrière l’élégance grandiose de ces compositions se niche également tout une gamme de fêlures qui ressortent ici ou là, à l’occasion d’une rupture de ton venant faire dérailler une courbe mélodique, d’un vers surgissant comme un trait noir apposé sur un tableau lumineux (« Come and crack my head ») ou de l’inquiétante torpeur entourant Singing to the sunshine, reprise d’un groupe pop des années 1960, les obscurs Mortimer. Le disque se clôt sur l’envol céleste de Silver machines. Quinze ans après sa parution, Cardinal demeure toujours pour moi une équation irrésolue, étrange fruit de l’association de deux immenses songwriters pourtant très dissemblables, presque plus admirable qu’aimable, fascinant plus que bouleversant.
Le disque passera inaperçu du public à sa sortie mais reçut un accueil critique enthousiaste, notamment par chez nous. Les deux pôles opposés qu’étaient Matthews et Davies ne parvinrent pas à rester accolés bien longtemps et chacun repartit rapidement poursuivre sa quête de son côté. Eric Matthews fit paraître dès 1995 le génial It’s heavy in here puis deux ans plus tard le non moins magnifique The lateness of the hour. Après une longue période de silence discographique, le bonhomme a publié trois autres albums depuis 2005 (Six kinds of passion looking for an exit, Foundation sounds et The imagination stage) mais je n’en connais aucun. Davies décrocha lui aussi quelques étoiles avec There’s never been a crowd like this (1996) puis Telegraph (1998). Il n’a donné aucune nouvelle depuis Barbarians paru en 2000. Le disque de Cardinal a acquis au fil du temps une aura grandissante auprès des amateurs de pop orchestrale et est souvent cité parmi les « trésors cachés » de l’histoire de la pop.
6 réponses
[…] Davies, il m’aurait semblé injuste d’oublier ici son génial alter-ego au sein de Cardinal, Eric Matthews. Il est assez fascinant d’observer les trajectoires respectives empruntées […]
[…] déjà eu l’occasion d’évoquer ici ce disque magistral, fruit de l’éphémère rencontre de deux songwriters majuscules. Ce titre formidable plante […]
[…] son romantisme trouvant un bel écho de par chez nous. En 2001, il fait paraître le remarquable Poses puis en 2004 et 2005, le diptyque Want one / Want two. Deux autres disques sont parus l’an […]
[…] Richard Davies. Les deux hommes s’entendent et fondent le duo Cardinal qui publie en 1995 un remarquable disque de pop orchestrée et baroque. Les tensions entre ces deux égos conduisent toutefois rapidement à la scission du tandem et Eric […]
[…] avec ce Telegraph sa quête de la chanson pop parfaite entamée avec les Moles et continuée avec Cardinal, quelque part entre Bowie et Mc Cartney, mais sans le millième de leur reconnaissance […]
[…] remarquable Eric Matthews, pour fonder le duo Cardinal. Sous ce nom, les deux compères publient un album éponyme majestueux en 1995, disque inclassable de pop baroque richement orchestrée (violon, trompette, […]