The Pernice Brothers The world won’t end (2001, Ashmont Records)

Joe Pernice se fait une première fois remarquer au mitan des années 1990 avec son groupe d’alors, les Scud Mountain Boys, dont l’album Massachussets (1996) reçoit quelques belles louanges critiques mais dans un anonymat public à peu près complet. Je ne connais pas ce disque, seulement le somptueux Big hole, mais il semble que le groupe se situe alors dans une veine néo-country en vogue à l’époque. Le groupe disparait sans bruit mais Joe Pernice se remet à l’ouvrage et fonde avec son frère Bob les Pernice Brothers. Les deux frères s’entourent d’un groupe complet, notamment du guitariste Peyton Pinkerton et du bassiste Thom Monahan et leur premier album Overcome by happiness sort en 1998 : encore une fois, bel accueil critique, aucun écho public. Un peu à la manière de Will Oldham, Joe Pernice multiplie les expériences et les identités plus ou moins alambiquées (de Chappaquidick Skyline en Big Tobacco) avant de reprendre le chemin des studios avec les Pernice Brothers pour accoucher de ce superbe The world won’t end en 2001.
A chaque écoute de ce disque, il est difficile de ne pas ressentir une certaine forme d’injustice devant l’anonymat absolu dans lequel le groupe évolue, tant les compositions figurant sur cet album en remontreraient à beaucoup. The Pernice Brothers jouent une pop de haute volée, pas ramenarde pour deux sous, mais dont les charpentes solides soutiennent de magnifiques constructions. Le groupe puise son inspiration aussi bien dans les eaux du folk-rock américain (on pense aux Byrds à plusieurs reprises) que dans les Tables de la Loi pop, des Beatles aux Beach Boys. Au final, leurs chansons, nourries d’arpèges célestes et de mélodies somptueuses, diffusent des émotions paradoxales, charriant une tonne de mélancolie dans un écrin doré. Car même si l’enveloppe des chansons n’est que lumière et clarté, le chant de Joe Pernice, toujours au bord de la reddition ou de l’effondrement (sur Endless supply par exemple), et ses textes sombres ne trompent pas l’auditeur. On pense ainsi souvent à ce célèbre vers de Gérard de Nerval : « Mon luth constellé porte le soleil noir de la mélancolie » (et on se fait un petit plaisir avec une citation classe).
L’introductif Working girls annonce d’emblée la couleur : malgré un riff enchanteur et des cordes somptueuses, c’est avec beaucoup d’ironie qu’il faut comprendre ce refrain : « All the working girls are fine / Sunlight shines », surtout quand Joe Pernice l’enrobe d’humour noir avec une phrase comme « Contemplating suicide or a graduate degree ». La dépression fleurit au printemps chez les Pernice Brothers, dans la plus pure tradition des grands maîtres pop, et l’ensemble de l’album balance entre la pureté des mélodies et la noirceur du propos, Joe Pernice ne parlant que de ruptures amoureuses, de solitude et parfois de suicide. Parmi les sommets venimeux de ce disque, on retiendra d’abord le fulgurant 7.30, troublant aveu de solitude qu’on aurait pu entonner des milliers de fois soi-même : « It would have been nice to be someone / To have and to hold the only one / But when 7.30 comes around / There’s nothing there, just bitterness ». On retiendra aussi le formidable Flaming wreck, drôle de fantasme d’en finir dans un crash d’avion, la future victime semblant attendre la fin comme une délivrance . Curieux paradoxe encore une fois que cette chanson morbide portée par un riff aussi vivace, et dont les courbes ascendantes viennent en parfait contrepoint de l’inévitable chute de l’avion qu’elle dépeint. On accordera aussi une mention (parmi d’autres) au bouleversant Shaken baby, ballade de rupture belle à pleurer ou au céleste She heightened everything qui porte vraiment très bien son nom.
Les disques des Pernice Brothers ayant subi les aléas d’une distribution française des plus aléatoires, je n’ai jamais réécouté un de leurs albums, ce qu’Internet me permet maintenant de corriger. Le groupe a ainsi fait paraître pas moins de cinq albums depuis The world won’t end, le petit dernier, Goodbye killer en 2010.
Superbe album, oui, si peu connu malheureusement… Ma préférée restera toujours « Our time has passed » et son refrain en ascenseur émotionnel et sa mélodie merveilleuse. Bravo pour ton blog d’un goût irréprochable et invariablement en adéquation avec ma discothèque 🙂
Merci beaucoup pour tous ces compliments. Je suis très flatté. Au plaisir de vous revoir dans ces pages…