La sève et le feu
The Pale Fountains … From across the kitchen table (1985, Virgin)
Un an à peine après la parution de leur extraordinaire Pacific street, les Pale Fountains remettaient leur ouvrage sur le métier avec ce deuxième album, histoire d’aller enfin quérir un succès public que n’avait pas su décrocher leur pourtant prodigieux premier opus. A une époque où les tons synthétiques de la new-wave coloraient les ondes, la pop douce-amère et grandiose des frères Head (John et Michael) semblait apparemment trop à contre-courant pour susciter un intérêt hors d’un cercle énamouré d’amateurs. Malheureusement, ce …From across the kitchen table ne parviendra pas davantage à tirer les magnifiques Liverpudliens de cet injuste anonymat.
Si les frères Head ne retrouvent pas tout à fait la martingale miraculeuse alignée sur leur époustouflant premier album, ce disque contient néanmoins suffisamment de fulgurances pour remplir les rêves de milliers d’aspirants songwriters. Les Pale Fountains abandonnent ici la luxuriance orchestrale de Pacific street sans perdre pour autant leur grâce mélodique et cette verdeur intense qui confère à leurs plus beaux morceaux une force émotionnelle sans pareille. Moins évidemment séduisant que Pacific street, …From across the kitchen table demeure parcouru d’une sève belle et acide, qui semble brûler les doigts de ses auteurs eux-mêmes. Musicalement, les Pale Fountains restent sous haute influence des merveilles 60’s de Love et des grands mélodistes West Coast même si la myriade d’instruments qui illuminait Pacific street cède ici le plus souvent la place à des guitares nerveuses et racées, mélancoliques et juvéniles à la fois. L’album se teinte également davantage de nuances soul et certains titres rappellent les feux de joie lancés par les Dexys Midnight Runners quelques années plus tôt.
Malgré quelques morceaux moins aboutis (These are the things ou 27 ways to get back home) et une production qui à mon sens manque un peu d’éclat pour rendre pleinement justice à ces chansons, ce disque confirme la qualité exceptionnelle du songwriting des frères Head. Des chansons comme Stole the love ou Limit brillent d’une flamboyance et d’une urgence à couper le souffle tandis que Bruised arcades se pare d’atours paradisiaques qui laissent béat. On s’incline également devant la magnificence du carrousel de Bicycle thieves, qui mêle splendeur de la mélodie et lucidité sans concession des paroles, Michael Head délivrant ces mots qui résonnent de façon particulière quand on connaît l’histoire du groupe : “Well I ain’t got much but you can take my future / It’s not doing me any good so you can lend it for a while”. Avec Hey, le groupe renoue avec les facettes les plus mélancoliques de Pacific street tandis que la fulgurance de Jean’s not happening suffira, honteusement, à peine à les porter au seuil du succès d’estime.
L’insuccès public et les ravages de la drogue provoqueront très vite l’éclatement du groupe, pour un naufrage malheureusement trop fréquent chez les génies de Liverpool. Les frères Head se relèveront pourtant, petit à petit, poursuivant une carrière trop anonyme pour des chansons si souvent sublimes, de Waterpistol (1995) à Here’s Tom with the weather (2003). Le songwriting gracieux des Pale Fountains n’est lui pas tombé dans l’oreille de sourds, son influence étant revendiqué au fil des ans par nombre de gens très recommandables, des Boo Radleys à The Coral en passant par le plus inattendu Jean-Louis Murat.
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[…] (Everything But The Girl, It’s Immaterial). Le groupe fera paraître un second opus en 1985, From across the kitchen table, moins brillant mais parcouru encore d’impériales fulgurances. Las, là encore, […]