La belle jeunesse
Gamine Voilà les anges (1988, Barclay)
Comme pour des milliers (des millions) de Français-e-s, mon premier souvenir de Gamine remonte à l’écoute de Voilà les anges, joli succès d’estime qui fit frissonner les ondes FM quelques mois durant en 1988. Comme pour des milliers de Français-e-s, ce souvenir fut longtemps le seul, et le groupe demeura pendant des années dans mon esprit un nom noyé dans la masse d’une vague scène française naviguant entre pop et variété, au sein de laquelle tout pour moi se confondait dans un ensemble indistinct : Daho, les Innocents, Elli Medeiros, Luna Parker, Niagara, les Charts, et bien d’autres. Ma culture musicale s’étant quelque peu étoffée depuis mes 13 ans, je croisais au fil d’articles ou d’interviews le nom des Bordelais, j’apprenais à discerner le bon grain de l’ivraie et c’est avec une curiosité doublée d’un vrai ravissement que je fis l’acquisition de ce premier album du groupe sur les étals d’un vide-grenier de ma région il y a quelques années à peine.
Je vire et je tourne au hasard des courants / Rien ici ne me retient plus / Quand mon cœur est si triste / Je voudrais le dire tout haut / Et quand mes yeux en disent long / Je voudrais toujours être roi
Être roi
Gamine se forme au début des années 1980 sous l’impulsion de Paul Félix Visconti et de Paco Rodriguez et affiche son goût pour un pop-rock mélodique et stylé, puisant autant au flot des guitares West Coast des 60’s que dans celui inondant à la même époque une certaine scène indie-pop, outre-Manche (les Smiths, Lloyd Cole…) ou outre-Atlantique (R.E.M.). Cette place accordée aux riffs et aux arpèges de six-cordes situe le groupe à rebours des voies synthétiques explorées par d’autres défricheurs de la scène française de l’époque, de Daho à Jacno en passant par Taxi Girl. Gamine n’oublie pas non plus de célébrer les grands aînés de la musique d’ici, et c’est par une reprise du “Harley Davidson” de Gainsbourg que le groupe se signale d’abord. Ce sera le single Le voyage paru en 1986 qui lui vaudra d’être repéré et signé par le label Barclay, quasiment en même temps qu’un autre combo bordelais appelé lui à un autre destin, Noir Désir. L’album Voilà les anges paraît donc en 1988 et s’affirme toujours, bientôt trente ans plus tard, comme un disque de haute tenue méritant de figurer en bonne place dans la discothèque de tout amateur de pop-rock qui se respecte.
Sur le front de mer, le vent salé / A changé en pierre, mon cœur brisé
Les gens sont si bizarres
Sur ce premier album, Gamine délivre une pop classieuse et romantique, faisant donc la part belle à des guitares telles qu’on en a rarement entendues dans la musique d’ici. A l’écoute des onze morceaux de Voilà les anges, le fan de pop retrouvera un groupe capable d’aller chasser sans rougir sur les terres mélodiques des Smiths et de quelques groupes anglo-saxons majeurs de l’indie-pop d’alors. Le tout rehaussé d’un romantisme parfois maladroit, souvent touchant, qu’on qualifierait de “vert” comme on le dirait d’un fruit, pas tout à fait mûr et dont le goût acidulé pique les lèvres et le cœur. La majorité des chansons traite de la fugacité et de l’urgence du désir, des envies d’ailleurs, des amours déjà mémorables et de celles à venir. Les Gamine ont l’intelligence de ne pas garder les deux pieds dans le même sabot, en affichant une palette stylistique suffisamment variée pour que le charme de chaque chanson (ou presque) agisse. Le disque s’ouvre sur le riff en majesté du bien-nommé Être roi, imposant sans être écrasant, aérien et puissant à la fois. Le tube Voilà les anges déploie ensuite ses volutes psychédéliques hypnotiques puis le groupe sort une reprise de fort bon goût et de fort bonne tenue en s’appropriant le subtil May I de Kevin Ayers. Le meilleur est à venir avec le génial L’autre, à la mélancolie mêlée d’espoir simplement bouleversante, et une ligne de clavier à tomber. Gamine réussit à aligner quelques autres grandes chansons, comme ce Voyage byrdsiens ou le smithsien Les gens sont si bizarres avec son tourbillon de guitares piquant comme les embruns qui semblent baigner la chanson. On trouvera bien quelques moments (un peu) plus faibles (Koelkast voire Nos sentiments au faux airs d’Echo & the Bunnymen) mais rien de rédhibitoire. Et en fin d’album, le groupe vient placer l’épatant Les jeux innocents, qui sonne presque comme un inédit de Lloyd Cole période Rattlesnakes (toutes proportions gardées).
Tout au long de la nuit / Tu m’as emmené sur les rivages incertains de l’ennui / Nous sommes partis en voyage, en voyage / On pourrait aller voir la mer / Venise en hiver / Ou les palmiers sur la promenade des Anglais / Non tu vois, je n’ai plus sommeil / Je n’ai plus sommeil
Le voyage
Le groupe publiera un deuxième album deux ans plus tard, Dream boy, que je ne connais pas mais qui fera un four à la fois public et artistique, conduisant à l’explosion du duo formé par Paul Félix Visconti et le guitariste Paco Rodriguez. Les deux bonhommes ont poursuivi leur route depuis dans l’anonymat, entre aventures musicales et expériences mystiques, le premier ayant passé de nombreuses années dans un monastère bouddhiste en Auvergne. Gamine fut longtemps réduit à son mini-tube Voilà les anges mais fort heureusement, son influence a marqué un certain nombre d’artistes d’ici fort recommandables, de Daho qui n’a jamais manqué de dire son affection pour la musique du groupe, à leurs évidents héritiers d’Aline, sans oublier Nouvelle Vague qui proposa une reprise – pas vraiment impérissable – de Voilà les anges (avec Cœur de Pirate au chant). Cette jeunesse est éternelle.
2 réponses
[…] à l’anglo-saxonne (des Smiths à Lloyd Cole) et textes en français. L’album Voilà les anges – qui contient le mini-hit du même nom – reste le meilleur témoin de ce dont le […]
[…] Américains mais aussi Canadiens et Australiens. Les Rita Mitsouko, Daho et plus encore le superbe Voilà les anges de Gamine méritaient quand même une citation mais resteront sur le banc des […]