La rivière sans retour
Cat Power The covers record (2000, Matador)
Après cette traditionnelle césure estivale, permettez-moi de vous proposer ce soir une reprise toute en douceur avec ce disque limpide à la beauté profonde et nonchalante.
I must be / One of the devil’s daughters / They look at me with scorn / I’ll never hear their horn / Sometimes it’s like being in chains / Sometimes I hang my head in shame
Troubled waters
Réussite artistique majeure largement célébrée par la critique, Moon pix suscita forcément de nouvelles attentes avec lesquelles une personnalité aussi troublée que celle de Chan Marshall ne pouvait qu’avoir du mal à composer. Pour se délester un peu de cette pression inaccoutumée, la jeune femme décida d’enregistrer un album constitué uniquement de reprises plutôt que de défendre des compositions originales à la gestation alors apparemment délicate. Quelques brèves sessions de studio suffirent pour coucher sur bande ces douze morceaux, douze reprises iconoclastes naviguant entre classiques incontournables et trésors obscurs. Cat Power avait déjà démontré par le passé son goût pour l’exercice de la reprise, s’appropriant par exemple des titres de Smog ou de Pavement en y apposant chaque fois sa marque fauve. Elle sidère ici encore davantage par sa capacité à transformer cet assemblage hétéroclite de chansons piochées ici ou là, dont certaines qu’elle avouera ne pas connaître encore peu avant de les enregistrer, en tout cohérent et au final en véritable album de Cat Power. A l’inverse du caméléon, Chan Marshall appose ses teintes sur les chansons qu’elle choisit de prendre en mains, et réussit le tour de force de faire exister ses versions à côté d’originaux à l’aura pourtant écrasante.
Oh I do believe / In all the things you say / What comes is better than what came before
I found a reason
D’entrée de jeu, la jeune femme s’en va dépouiller le mythique Satisfaction des Rolling Stones de tous ses attributs, en effaçant le riff et le refrain pour en faire une ballade folk-blues à la beauté inquiète, à faire pâlir toutes les Alela Diane de l’univers. Plus loin, c’est le merveilleux I found a reason du Velvet Underground qui se retrouve mis à nu et réduit en dérive piano-voix déchirante et lumineuse, laissant entendre chaque souffle de silence entre chaque note jouée. Mais plus que de relever les différences que Cat Power apporte aux morceaux originaux, c’est bien la tonalité générale de l’album qui fait merveille. Chan Marshall creuse un peu plus le sillon de cette sorte de douceur tourmentée qui faisait tout le prix de Moon pix. Elle pousse aussi d’un cran le dénuement, se contentant le plus souvent d’un accompagnement minimal guitare-voix ou piano-voix et en conduisant ces chansons vers l’épure, elle en renforce l’expressivité et les habite d’une façon renouvelée. L’album s’écoule tel une rivière au lent débit, avec ses bras d’eau stagnante où se troublent les flots (Troubled waters) et ses passages où le courant va s’accélérant, ruisselant dans la lumière du matin (Naked if I want to, Salty dog). Chan Marshall démontre à plusieurs occasions quelle bouleversante chanteuse elle peut être, mêlant le blues et la soul comme peu en sont capables. On lui pardonnera donc facilement les quelques rares moments où le flot de l’album coule un poil trop au ralenti au risque de nous assoupir. S’endormir au bord de l’eau est souvent très appréciable.
Come with me / My love / To the sea / The sea of love / I wanna tell you / How much I love you (Sea of love)
Sea of love
The covers record apparaît pour Cat Power à la fois comme un pas de côté, un disque échappatoire visant à lui permettre de reprendre son souffle, et un élément important de son évolution artistique, trait d’union idéal entre les deux chefs-d’oeuvre que sont Moon pix et You are free. C’est en tout cas l’album de reprises de Cat Power à écouter en priorité, plutôt que le tiédasse et bien trop apprêté Jukebox de 2008.
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[…] incita d’abord la jeune femme à faire paraître un album de reprises – le magnifique The covers record – pour soulager la pression qui pesait sur ses épaules mais il fallut encore près de trois […]