Fever
The Dream Syndicate The days of wine and roses (1982, Slash)
N’y voyez aucune fausse modestie mais les lacunes émaillant ma culture musicale ne cessent de me sauter aux yeux en même temps qu’elles représentent un des inépuisables bonheurs de mon existence pour tout ce qu’elles promettent. Cela paraîtra sans doute fort incongru à tout lecteur érudit mais ma découverte de la musique de Dream Syndicate remonte à seulement quelques mois. J’avais bien vu mentionnée au fil de mes lectures la scène Paisley Underground mais je n’en connaissais que la pop radieuse des Bangles. J’avais dû lire aussi deux ou trois choses à propos d’Opal, le groupe qui réunit un temps Kendra Smith, bassiste du Dream Syndicate (le temps de cet album justement) et David Roback, futur architecte des merveilles de Mazzy Star mais sans aller plus loin. Je ne savais donc pas réellement à quoi m’attendre en me plongeant dans ce premier album du combo californien et c’est peu dire que ma récompense a dépassé de beaucoup le faible effort qu’il m’a fallu pour dénicher ce Days of wine and roses sur une célèbre plate-forme de streaming.
She shows a scar where her face met his ring / She remembers the pain but she forgot his name / Ah, it’s alright it really didn’t mean a thing
Then she remembers
The Dream Syndicate se forme en 1981 autour de Steve Wynn et Kendra Smith, deux coreligionnaires de l’université de Davis, Californie, qui s’adjoignent les services du guitariste Karl Precoda et du batteur Dennis Duck. Le groupe se fait rapidement remarquer dans les clubs californiens et fait donc paraître ce premier LP en 1982. A une époque où nombre d’artistes de la pop et du rock se tournent vers les sonorités électroniques des synthétiseurs, et où la scène new-wave anglaise semble capter toute l’attention, le Dream Syndicate, comme ses autres compagnons de ce qu’on nommera le Paisley Underground affiche son amour immodéré pour le rock à guitares. Pas n’importe quel rock à guitares cependant, celui élégant, abrasif et vénéneux du Velvet Underground et ses héritiers, des Modern Lovers à Television. Steve Wynn et sa bande revendiquent clairement l’influence fondamentale des intouchables new-yorkais, en choisissant pour nom celui de l’ensemble expérimental de Tony Conrad dans lequel John Cale évolua un temps et en baptisant leur premier album d’une référence évidente à Sweet Jane. Mais si l’ascendance est assumé, le Dream Syndicate ne saurait en aucun cas être pris pour un groupe suiviste. Le quatuor affirme en effet une identité bien à lui, jouant un rock flamboyant et nerveux, puissamment mélodique, porté par le tête-à-tête haut de gamme entre les guitares de Wynn et Precoda et les fondations rythmiques impeccables assurées notamment par Kendra Smith. Par ailleurs, si le groupe est évidemment un “enfant du Velvet”, ses influences puisent aussi à d’autres sources tumultueuses, de Neil Young & Crazy Horse au Gun Club. Ce cocktail haut de gamme donne ainsi au combo des airs de pur-sang des villes, dont la fière encolure brillerait sous la lumière des réverbères.
There is a place you might wanna go / It’s right up my street / You might look and see the light shining / Someone you might like to meet / It’s Halloween
Halloween
The days of wine and roses aligne une impeccable collection de morceaux emplis d’une distinction sauvage, aux guitares fiévreuses et aux mélodies d’une efficacité redoutable. Le disque s’ouvre sur l’excellent et emblématique Tell me when it’s over, dont j’ai pu lire – mais je ne retrouve plus ma source – qu’il évoquait comme le croisement entre Lou Reed et Neil Young. C’est effectivement tout à fait ça. Sur Definitely clean ou Then she remembers, le groupe frotte les guitares urbaines du Velvet à la fièvre vaudoue du Gun Club avec maestria. Ces montées de sève sudistes se retrouvent sur l’épatant Until lately, qui mijote lentement puis finit par bouillir et déborder de façon impressionnante, et viennent aussi chauffer les fesses du morceau-titre final, qui s’agite et convulse avec classe et rage sur plus de sept minutes. Le sommet de l’album demeure néanmoins à mes yeux le génial That’s what you always say, tout de moiteur épique avec son inoubliable ouverture à la basse et son riff incendiaire. On accordera aussi une mention particulière au brûlant Halloween mais l’adjectif pourrait s’appliquer à l’ensemble des chansons du disque, à l’exception de Too little, too late, respiration salutaire soufflée par la voix “nico-esque” de Kendra Smith.
Everybody says I don’t care / But I’m just trying to remember / The days of wine and roses
The days of wine and roses
The days of wine and roses s’avère donc un disque d’une grande constance dans l’excellence, passionnant et passionné, classieux et enflammé. Kendra Smith quittera le groupe avant la sortie du deuxième opus du groupe, Medicine show paru en 1984, pour s’en aller fonder Opal avec David Roback. J’avoue – honte à moi de nouveau – n’avoir pas encore exploré la suite de la discographie de Dream Syndicate, soit trois albums jusqu’à la séparation du groupe en 1988 et un tout récemment paru après sa reformation, ce How did I find myself here publié cette année. The days of wine and roses aura en tout cas une influence majeure sur la scène indie-rock américaine à venir, de Kurt Cobain à Dean Wareham.