Tres hombres
Crosby, Stills & Nash Crosby, Stills & Nash (1969, Atlantic)
Quand David Crosby et Graham Nash se retrouvent en présence de Stephen Stills dans la maison de Joni Mitchell (ou de “Mama” Cass Elliott, les sources divergent) à Laurel Canyon par une après-midi enfumée de l’été 1968, chacun des trois a déjà largement œuvré de son côté à l’embellissement du monde. Chacun se trouve également plus ou moins alors en rupture de ban, après avoir connu tant les vertiges des cimes que les cahots des difficiles retours sur terre. Alors que Crosby s’est prestement fait virer des Byrds courant 1967 pour incompatibilité d’humeurs et que Stills a vu son aventure en haute altitude avec Buffalo Springfield (aux côtés d’un certain Neil Young) exploser en vol après trois albums, l’Anglais Graham Nash se trouve à l’étroit chez les Hollies et n’attend que l’occasion pour prendre la tangente. En mêlant sa voix à celles de Crosby et Stills dans les vapeurs des joints sur You don’t have to cry en cette après-midi de juillet, cette occasion se présente avec l’évidence des révélations. Les talents mélodiques et vocaux des trois compères se marient en effet à merveille et créent une alchimie d’une beauté limpide.
You are living a reality / I left years ago it quite nearly killed me / In the long run it will make you cry / Make you crazy and old before your time
You don’t have to cry
Le trio poursuit donc sur la foi de ces prometteurs premiers pas, travaille ses compositions et se voit offrir un contrat par le prestigieux label Atlantic d’Ahmet Ertegün qui publie ce premier album en 1969. Échaudé par les contraintes de la vie de groupe sur l’expression de sa personnalité, chacun insiste pour que son nom apparaisse à égalité dans le nom de ce “super-groupe”. “E pluribus unum” en quelque sorte, en ne négligeant aucun des éléments de la devise. Crosby, Stills & Nash constitue en tout cas un premier album d’importance qui contribua à définir le son d’une époque, mêlant des influences fermement ancrées dans la tradition des musiques populaires nord-américaines (folk, country) avec des sonorités psychédéliques, voire jazzy, et le sens de la mélodie pop. Chaque membre du trio apporte son originalité et soumet ses compositions aux mains des autres qui viennent les enrichir, les enjoliver. Cerise sur le space-cake, les voix de Crosby, Stills & Nash s’enlacent et s’élèvent dans des harmonies vocales séraphiques, qui apportent à l’ensemble un mélange de ferveur et d’onirisme du plus bel effet. Figure de la communauté hippie de Laurel Canyon, le groupe écrit par ailleurs des textes à la fois rêveurs et engagés en parfaite résonance avec un flower-power qui vit alors ses dernières heures.
But you know / The darkest hour / Is always, always just before the dawn
Long time gone
Chaque amateur du groupe affiche une préférence pour les compositions de l’un ou l’autre de ses membres. Pour ma part, mon inclination se porte plutôt sur les morceaux écrits par David Crosby : la finesse ouatée aux teintes médiévales de Guinevere, le psychédélisme flottant à l’électricité hantée de Wooden ships (co-écrit avec Stills et Paul Kantner de Jefferson Airplane) et le brûlant Long time gone, rageur comme un coup de poing. Difficile cependant de minorer le rôle de Stills dans la réalisation de l’ensemble, le bonhomme jouant de la majorité des instruments et apportant clairement sa patte à chaque morceau, y compris ceux qu’il n’a pas directement écrit. Stills pose en entrée d’album l’ambitieux et charmant Suite : Judy blue eyes, sur sa relation vraisemblablement compliquée avec Judy Collins. Cette drôle de pièce en quatre parties mêlant pop, folk et espagnolades permettra au groupe de décrocher ce qui ressemblera à un tube, avec ses “doo dee doo” célèbres en fin de morceau. On retiendra aussi la fluidité de ce You don’t have to cry, clair comme de l’eau de roche et dont les harmonies vocales ont du hanter les nuits des Fleet Foxes. Nash n’est pas en reste et apporte sa sensibilité pop avec les entraînants Pre-road downs et Marrakech express mais j’avoue trouver que ces morceaux ont moins bien vieilli que ceux de ses petits camarades.
Horror grips us as we watch you die / All we can do is echo your anguished cries / Stare as all human feelings die / We are leaving, you don’t need us
Wooden ships
L’album remportera un grand succès et établira le groupe comme une figure de la scène rock américaine et de la contre-culture de l’époque, position qui sera encore raffermie par leur prestation au festival de Woodstock à l’été 1969. L’aventure de Crosby, Stills & Nash a pris au fil des ans les airs d’une véritable épopée, parsemée de séparations plus ou moins longues tournant en rabibochages, sur fond d’addictions diverses et avec dans le paysage un fameux satellite nommé Neil Young qui viendra apposer son Y au CSN original dès Déjà vu en 1970. Le groupe a encore tourné ensemble en 2012-2013 avant de se séparer une nouvelle fois. On n’oubliera pas que chacun des trois comparses a également mené parallèlement une riche carrière en solo, semant de-ci de-là quelques albums de très haute volée, à commencer par le If I could only remember my name de David Crosby. J’y reviendrai peut-être ici un de ces jours.
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[…] tenu du succès rapide rencontré par son premier opus et du fait que Stephen Stills jouait sur celui-ci de la majorité des instruments (batterie […]