Messages du crépuscule
The Rakes Ten new messages (2007, V2)
Mes fidèles lecteurs se souviendront peut-être que j’avais confessé dans ces pages la grande estime que je portais au premier album de ce quatuor britannique, ce Capture/release paru en 2005. C’est donc avec une réelle curiosité que j’attendais le deuxième opus du groupe mené par Alan Donohoe, me demandant comment il parviendrait à franchir ce souvent si redoutable écueil.
We moved to the street where they tried to hold curfew / And ran among the debris as the bullets flew / Helicopters circled overhead to get a better view / We found a doorway, fell in and I held you
We danced together
Inutile de cacher que la première réaction fut la déception, et que dix ans après, on concèdera volontiers que ce Ten new messages ne tient pas vraiment la comparaison avec son pétulant prédécesseur. On reconnaîtra au groupe le mérite de ne pas se contenter de reproduire à l’identique la recette gagnante de Capture/release. The Rakes remisent au placard les bombinettes imparables type Strasbourg, mettent sous le boisseau la formidable dynamique qui habitait ces chansons saccadées et nerveuses, tendues et épileptiques. Le groupe semble moins viser ici les pieds que la tête ou le cœur mais perd en partie ce qui faisait son charme, cette efficacité mélodique diabolique qui enflammait Retreat ou 22 grand job. C’est comme si l’électricité qui agitait Capture/release avait soudain perdu en intensité et qu’une étrange atmosphère crépusculaire avait subrepticement recouvert les chansons du groupe. Celles-ci gagnent en espace, se déploient davantage au risque du délayage.
A young Asian guy with a rucksack on his back / Jumps on the tube, is he ready to attack ? / God just imagine it being all over, stuck in the tube with nowhere to go / All the smoke and confusion, stuck in this dark coffin / The man with the paper, he moves from his seat / Why did that kid stand so close to me ? / I’m sick of them moaning that they’re being picked on, when its them running round with the bombs
Suspicious eyes
L’album s’ouvre pourtant par un triptyque de premier ordre. L’introductif The world was a mess but his hair was perfect (clin d’œil au couturier Hedi Slimane si je ne m’abuse) réussit ainsi à combiner l’énergie brute des premiers singles du groupe avec une profondeur de champ renouvelée, situant ce morceau quelque part entre les Strokes et les B-52’s, entre inquiétude et détachement. Puis les Rakes enchaînent avec le superbe Little superstitions, morceau teinté de bleu nuit, et jamais le groupe n’avait paru aussi fragile et touchant. Cette impeccable entame se poursuit avec le tubesque We danced together, dont la dynamique imparable dissimule une gravité certaine, audible dans le ton des paroles, qui pourrait se résumer à quelque chose comme danser au milieu des décombres. D’une manière générale, la musique des Rakes semble touchée de plein fouet par l’état du monde. Les peurs et inquiétudes de l’époque imprègnent la majorité des morceaux, de la superficialité de nos artefacts technologiques à l’angoisse créée par la menace terroriste. Deux ans après les attentats meurtriers du métro de Londres, Suspicious eyes dépeint ainsi l’atmosphère paranoïaque susceptible de gagner tout un chacun. La chanson en elle-même ne convainc pourtant qu’à moitié, l’enchaînement entre les parties de chaque intervenant (dont une surprenante Laura Marling) manquant pour le moins de fluidité. Une fois donc passés les trois premiers titres, Ten new messages s’enlise un brin et peine à retrouver de la hauteur. Le rugueux Trouble figurerait une chute agréable du premier opus mais guère mieux, Down with moonlight ressemble à du Franz Ferdinand sans nous faire oublier l’original et When Tom Cruise cries est quand même une chanson touchante. Mais des titres comme On a mission ou Time to stop talking patinent et ne convainquent pas.
Let’s make the most of it / The time we’ve got together / Quit all the secrets that are / Choking up your heart / And tearing all the light from the stars
Little superstitions
Les Rakes s’échouent à demi sur les récifs piégeux du deuxième album. Mais si ce disque ne retrouve pas la flamme qui faisait carburer son prédécesseur, il parvient quand même à nous intriguer. Moins emballant, plus réfléchi, il diffuse une intrigante aura mélancolique et troublée qui lui confère un certain charme et permet au groupe de conserver sa cote de sympathie par cette faculté à demeurer intéressant. Les Londoniens feront paraître un ultime LP, Klang, en 2009, que j’avoue ne pas avoir pris le temps d’écouter avant de mettre fin à leur aventure commune.