Une humble présence
Lambchop OH (Ohio) (2008, City Slang)
Comme je l’avais déjà écrit ici, les Américains de Lambchop délivrent depuis maintenant plus de 15 ans une musique bien à eux, étoffant régulièrement depuis leur excellent Jack’s tulips de 1994 une œuvre proprement remarquable, et qui mériterait de recueillir bien davantage de suffrages publics. Après avoir navigué lors de leurs premiers efforts dans les eaux d’une country rénovée, loin des paillettes ridicules de Nashville, Kurt Wagner et sa troupe ont peu à peu élargi leur spectre d’expression musicale, célébrant notamment le mariage miraculeux de la country et de la soul sur leur magistral Nixon de l’an 2000. Après les avoir consciencieusement suivi album après album depuis leurs débuts, j’avais quelque peu perdu Lambchop de vue suite à leur ambitieux double album de 2004, ce Aw c’mon/No you c’mon qui me laissa quelque peu sur ma faim, surtout après les sommets décrochés par ses deux prédécesseurs (Nixon et Is a woman). Après avoir raté Damaged en 2006, je reprends en quelque sorte le train en marche avec ce dernier album en date.
Je retrouve ici avec bonheur nombre d’ingrédients qui rendent la musique de Lambchop si précieuse: le timbre buriné et vibrant de Kurt Wagner, maître-queux de cette troupe de fins gourmets, les instrumentations finement ourlées, cette manière de jouer des silences autour des notes et de faire ressentir toute la richesse de la palette émotionnelle qui peut colorer une vie d’homme. Lambchop avance à son allure, sans forfanterie, avec l’humilité des plus grands artisans, et cette humble présence leur permet de dépeindre au plus juste les intermittences de nos cœurs (mon Dieu, mon Dieu…), les soubresauts infimes qui nous agissent et nous agitent comme les grands maux sans grands remèdes qui peuvent nous faire trébucher. Lambchop vient cependant croiser ici dans des eaux plus franchement pop qu’à l’habitude, mais une pop bien entendue revue et corrigée par ses soins, plus proche des compositions sans collier d’un Piers Faccini ou d’un Thomas Dybdahl que de la pop gros bras d’Oasis.
Sur National talk like a pirate day et sur Sharing a Gibson with Martin Luther King Jr., Lambchop enfile presque les souliers de Belle & Sebastian, le geste souple et léger, la mélodie fluide dévalée avec classe. Le ton du disque reste cependant comme souvent chez Lambchop plutôt mélancolique, des ondoiements brillants de I’m thinking of a number (between 1 and 2) (sur lequel on remarque d’ailleurs que Wagner semble placer les guitares au son chaud sur le devant de la scène) au poignant A hold of you. Les textes de Wagner demeurent étranges et fascinants, bannissant clairement la forme narrative pour laisser libre cours à un mélange de poésie et de trivialité, excellant notamment dans les descriptions fines de gestes et d’attitudes, en sismographe des sentiments. Malgré quelques moments un peu plus “plan-plan”, le disque plane à de fort respectables hauteurs, confirmant la constance dans l’excellence du groupe de Nashville.