Blues brothers
The Black Keys Brothers (2010, Nonesuch)
Débarqués comme tant d’autres dans le sillage de la vague du “retour du rock” à l’orée de ce siècle, les Black Keys ont mis du temps à se faire une place au soleil. Il faut dire que le duo d’Akron n’a jamais recherché la lumière des projecteurs, s’évertuant à creuser son sillon avec talent et persévérance au fil des années, là où d’autres plus glamour ou plus sexy entraînaient les foules derrière leurs étendards, qu’ils soient vêtus de cuir noir ou de rouge et blanc. Dès The big come up (2002), Patrick Carney et Dan Auerbach affichaient leurs influences blues-rock, trempant leurs guitares dans le goudron et l’huile de vidange. Leur relecture brute de décoffrage du “She said she said” des Beatles figurant sur ce premier opus laissait cependant déjà deviner un penchant pour les mélodies pop. Au gré de leurs albums successifs (dont l’abrasif Rubber factory dont il fut déjà question ici), les Black Keys allaient progressivement fondre dans le métal brûlant de leurs guitares blues-rock la plasticité et l’immédiateté catchy d’une certaine pop, sans jamais pour autant renier les racines de leur musique. Leur rencontre avec le producteur Danger Mouse allait être le catalyseur de cette évolution, avec le déjà très bon Attack & release de 2008 mais c’est bien ce Brothers qui allait couronner l’ascension patiente du duo et lui permettre d’atteindre son acmé (jusqu’à maintenant) artistique en fracassant dans le même mouvement les portes des hit-parades.
I got a tortured mind / And my blade is sharp / A bad combination in the dark / If I killed a man / In the first degree / Baby would you flee with me
Sinister kid
Les mois précédant l’enregistrement de Brothers furent pourtant particulièrement délicats pour le duo. Les relations entre ces deux inséparables amis de jeunesse se détériorèrent quelque temps, au point de s’interroger sur leur avenir en commun et Auerbach y alla même de son album solo en 2009. Ce fut finalement le divorce de Patrick Carney d’avec son épouse d’alors qui allait constituer une sorte d’élément déclencheur pour une réunion du groupe autour de ses fondamentaux. Les Black Keys décidèrent de sortir de leur environnement habituel pour enregistrer dans les mythiques studios de Muscle Shoals, Alabama, et donner une digne suite à Attack & release, le disque qui leur avait valu leur premier succès d’estime. Au final, le groupe allait ressortir de là les mains pleines.
There’s nothing worse / In this world / Than payback from a jealous girl / The laws of man / Don’t apply / When blood gets in a woman’s eye
Ten cent pistol
Sur Brothers, les Black Keys – sans doute transcendés par les ondes magiques émanant de Muscle Shoals – réussissent à créer l’alchimie parfaite entre tous les ingrédients ayant jusque là nourri leur musique. Les chansons de Brothers baignent ainsi toutes dans un bouillon de blues charbonneux, hérissé de guitares barbelées mais elles ouvrent sans cesse grands leurs bras à d’autres styles, d’autres influences qui viennent leur conférer un charme et une efficacité redoutables. De la sorte, les Black Keys parviennent à démontrer l’éternelle pertinence de cette musique, n’abjurant rien de leur héritage musical tout en en faisant quelque chose de résolument moderne. La première moitié de l’album s’avère de fait particulièrement impressionnante, tant on peut y entendre un groupe en parfaite maîtrise, trouvant un équilibre idéal entre toutes ses aspirations. Du blues rugueux et caressant à la fois de Next girl à l’évidence tubesque de Tighten up (seul morceau produit par Danger Mouse ici), de l’intensité tourmentée de Too afraid to love you aux débordements psychédéliques d’un She’s long gone hendrixien (ou zeppelinien), les Black Keys n’ont sans doute jamais été aussi inspirés. Sur l’introductif Everlasting light, Dan Auerbach adopte une voix de falsetto qui vient encore rehausser l’étonnante touche funky colorant ce morceau, qui rappelle justement que le blues a toujours su s’adresser aux hanches et aux hormones. Auerbach ressortira ce chant haut perché plus loin sur le génial The only one, morceau le plus sexy du disque sur lequel des claviers lascifs se déroulent en guirlande hypnotique. La deuxième moitié du disque offre aussi son lot de moments forts, entre un Ten cent pistol sorti tout droit d’un film noir et un I’m not the one aux accents profondément soul, qu’on ne s’étonnera pas de voir repris plus tard par Betty Lavette. Si on voulait chipoter, on pourrait peut-être trouver que le disque aurait pu se passer d’une ou deux chansons parmi les cinq dernières mais ce serait vraiment faire preuve d’une sévérité excessive.
I just don’t know what to do / I’m too afraid to love you
Too afraid to love you
Brothers allait permettre au groupe de décrocher un véritable carton avec le succès de l’irrésistible Tighten up et 3 Grammy Awards en prime. Les Black Keys enfonceront le clou du succès public avec le multi-platiné El camino et son triomphal Lonely boy, mais même si cet album est de fort belle facture, il ne tient pas selon moi vraiment la comparaison avec ce brillant Brothers. J’avoue ne pas avoir écouté encore le dernier album en date du groupe, ce Turn blue paru en 2014, mais que voulez-vous ? , trop de disques, pas assez de temps…
3 réponses
[…] disque du début de la décennie, Brothers des Black Keys mêle dans son chaudron fumant blues, rock, pop et soul avec une maestria et une […]
[…] n’aura de cesse de le répéter : Brothers demeure à ce jour le meilleur album du duo d’Akron. « Too afraid to love you » donne à […]
[…] n’aura de cesse de le répéter : Brothers demeure à ce jour le meilleur album du duo d’Akron. Too afraid to love you donne à voir le […]