Groovy hooligans
Kasabian S/T (2004, Paradise / BMG)
Pour être honnête, j’avais quasiment oublié Kasabian et je serais encore bien en peine de vous dire si le groupe existe toujours en 2016. Ses deux premiers albums trônent pourtant fièrement côte à côte sur les rayonnages de ma discothèque mais j’avoue qu’ils n’ont guère l’occasion de sortir du rang pour accéder à la platine. Et, si je ne sors certains chefs-d’œuvre et quelques-uns de mes disques de chevet qu’en de rares circonstances – de peur d’être envahi par trop d’émotions fortes ou parce que ceux-ci réclament une attention ou des conditions d’écoute particulières – , Kasabian ne saurait nullement prétendre à émarger dans cette catégorie de disques inestimables. Sans être impérissable, ce premier album du quatuor de Countesthorpe, près de Leicester, aligne cependant suffisamment de bons moments pour qu’on y jette une oreille.
I need it like potions / These drugs are just an hour away / Come on it electronic / A polyphonic prostitute / The motors on fire / Messiah for the animals
L.S.F. (lost souls forever)
En 2004, le groupe mené par la grande gueule de Tom Meighan fut en tout cas l’objet d’une de ces montées de buzz comme en échafaudent (échafaudaient encore ?) la presse rock britannique tous les trente-six du mois. Sur la base d’une poignée de singles crâneurs et percutants, de l’esthétique travaillée de ses visuels, de prestations remarquées durant la saison des festivals et de quelques déclarations vachardes de son leader (qualifiant par exemple Justin Timberlake de “nain avec des moustaches”), le groupe alignait pas mal d’atouts de choix pour alimenter la hype. A vrai dire, celle-ci demeura surtout cantonnée outre-Manche, l’impact de Kasabian sur nos terres restant alors relativement modeste.
Load my head with the Grateful Dead
Processed beats
Musicalement, Kasabian fait en quelque sorte rimer Leicester avec Manchester, tant les morceaux du groupe semblent téter aux mamelles psychotropes des deux figures de proue du “Madchester” de la fin des années 1980, Happy Mondays et Stone Roses. A la manière de ses glorieux aînés, Kasabian combine écriture pop et dynamique dance, mêlant rock et rave dans le même chaudron, frottant ses guitares à des sonorités électro. On retrouve ainsi chez Kasabian ce sens du groove, cette manière de traîner l’auditeur sur le dance-floor et de lui faire remuer bêtement la tête et les jambes à l’aide de rythmiques implacables et de basses rebondies. Kasabian respire également à pleins poumons les vapeurs hallucinogènes d’un certain rock psychédélique de la fin des années 1960 avec ses claviers tournoyants et ses ambiances enfumées. Le tout est mené par la voix trainarde de Tom Meighan, quelque part entre Liam Gallagher d’Oasis (toujours Manchester) et Shaun Ryder, pleine de nonchalance canaille et de morgue gouailleuse.
John was a scientist he was hooked on l.s.d / Interested in mind control and how the monkey held the key / And all of his experiments are what he’s planning for the air / It’s for the unsuspecting citizens who hallucinate in fear
Cutt off
Kasabian s’illustre en premier lieu par quelques hymnes d’une efficacité redoutable, comme l’impeccable Club foot, véritable chanson de hooligan mordante et bagarreuse et qui ouvre l’album avec la force d’un uppercut. Impossible d’échapper aussi à la fougue de l’ébouriffant Reason is treason, qui vient chasser sur des terres parfois arpentées par New Order (Manchester encore) ou à l’excellent L.S.F. (lost souls forever) qui donne envie de tomber la veste et de monter le son. A certaines heures, la transe semble gagner la clique de Tom Meighan comme sur le groove en sueur et vaguement menaçant de Processed beats et c’est aux rythmes infectieux de Primal Scream qu’on pense sur un morceau comme Cutt off. Force est cependant de constater que la musique de Kasabian manque de sens mélodique et d’ampleur pour atteindre la dimension de ses modèles et certaines chansons ronronnent plus qu’elles ne percutent, comme ces I.D., Butcher blues ou Test transmission aux faux airs de Chemical Brothers. Kasabian passe en force et joue habilement des coudes pour se faire sa place au soleil, avec une réelle débrouillardise et son lot de morceaux bien troussés, un poil frustes mais efficaces.
Thrills take control of me stalking cross the gallery / All the pills got to operate the coloured grids and all invaders
Club foot
Accrocheuses mais sans génie, les chansons de Kasabian pourront se faire une place sur vos platines (ou vos appareils connectés) pour accompagner vos humeurs de troisième mi-temps, vos débuts de soirée et vos envies de rudesse groovy. Ce n’est déjà pas si mal.