Le bel ouvrage

Peter von Poehl May day (2009, Tôt ou Tard)

Peter von Poehl - May Day

Trois ans après le succès inattendu de son premier effort solo, ce Going to where the tea-trees are (2006) porté par l’épatant single The story of the impossible, ce grand Suédois francophile et francophone nous revenait l’an dernier avec ce May day. Loin de flemmarder durant cette période, notre homme multiplia les collaborations – comme à son habitude – et on vit notamment cet ancien membre d’AS Dragon accompagner Vincent Delerm ou Marie Modiano. Cette dernière lui renvoie d’ailleurs la balle ici de fort belle manière en signant les paroles d’une demie-douzaine de chansons.

Le premier opus de Von Poehl nous avait séduit par son artisanat tout en finesse et en subtilités, affichant avec simplicité une jolie poignée de compositions délicates d’inspiration folk mâtinées de réminiscences jazzy et de coloris pop. Peter von Poehl continue de creuser la même veine, celle d’une musique jouant sur les nuances et l’équilibre pour caresser nos cordes sensibles. Mais notre homme élargit son registre en laissant transparaître une palette d’influences plus large. S’il passe d’un style à un autre avec une facilité déconcertante, Peter von Poehl réussit à faire que son disque ne sonne jamais comme un laborieux exercice de style ou comme une démonstration de premier de la classe. Sa musique demeure au contraire vivante et organique, d’une richesse que doit lui envier nombre de ses contemporains et s’inscrit dans une lignée de maîtres-artisans de la pop sans collier, quelque part entre les Nits et Lambchop.

L’album s’ouvre sur une note printanière et groovy plutôt surprenante, Von Poehl délivrant un hommage empli de soul aux légendaires Parliament. Sur le deuxième morceau, Dust of heaven, Von Poehl évoque les sables (é)mouvants de l’immense Robert Wyatt puis il enchaîne avec une ballade impeccable dont il a le secret, ce magistral Forgotten garden à la beauté terrassante. Le fantôme de Nick Drake en personne vient flotter au-dessus de l’épaule du songwriter suédois et on reste bouche bée devant la superbe des arrangements de ce morceau somptueux – et on se dit aussi qu’on n’avait pas entendu plus bel usage de la sonnette de vélo depuis l’insurpassable Pet sounds des Beach Boys. Au fil de l’album, Von Poehl nous gratifie d’un ou deux autres moments en apesanteur, tel le touchant Mexico sur lequel notre Suédois baroudeur se glisse dans la peau d’un de ces wetbacks mexicains cherchant fortune (sans la trouver) de l’autre côté de la frontière. Impossible aussi de résister à la grâce de May day, petit bout d’absolu comme on en écoute rarement, une de ces chansons qui nous permettent d’accepter de vivre sans trouver de réponses à nos questions, semblant lever une partie du voile du monde qui nous entoure sans lui faire perdre son mystère.On accordera aussi une mention à ce Lost in space à rendre jaloux les gars de Air ou à ce grandiose Elisabeth, pas si loin des belles heures d’Elliott Smith, et sur lesquels cuivres et cordes se lancent dans un épatant crescendo.

On pourra faire la fine bouche sur un ou deux titres plus anodins mais dans l’ensemble, Von Poehl donne une nouvelle dimension au travail de dentellière initié sur son premier album. Son artisanat pop nous offre vraiment un bien bel ouvrage.

A voir ci-dessous la vidéo de Parliament et non May day comme indiqué par erreur :

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