Des airs de variété
Dick Annegarn Approche-toi (1997, Tôt Ou Tard)
Durant la semaine, par la grâce des receleurs de trésors de l’INA, je suis tombé sur un extrait du Petit Conservatoire de Mireille daté de 1972 dans lequel on pouvait voir un tout jeune Dick Annegarn faire ses premiers pas dans le «grand» monde du show-bizness d’ici. Avec ses allures dégingandées, le grand escogriffe laissait déjà entrevoir un patchwork d’influences roboratif, exécutant en moins de cinq minutes un bœuf blues droit sorti du Delta, une ballade folk néerlandaise et une interprétation moqueuse plus ou moins réussie du Commandeur Jacques Brel. Cette liberté de ton rafraîchissante fut à l’époque fort bien accueillie et le jeune homme put aligner une brochette de morceaux à succès (Bébé éléphant, Mireille, Sacré géranium…) qui lui ouvrirent jusqu’aux portes de l’Olympia en 1974, mais ce grand blond à la carrure de bateleur se sentit bien vite à l’étroit dans le cirque étriqué du music-business. Il choisit donc de “prendre sa retraite à 25 ans”comme il le dira lui-même, pour s’en aller vivre vraiment, voyageant partout où ses envies le poussent, devenant cafetier, vivant sur une péniche, s’impliquant dans le tissu associatif en banlieue parisienne mais sans jamais cesser de jouer ni de composer, enregistrant de-ci de-là des albums confidentiels entre 1979 et 1996. Après ces années de relatif anonymat, Vincent Frèrebeau, le patron de l’alors jeune label Tôt Ou Tard se demanda ce que devenait le Batave et se proposa de lui offrir l’opportunité de se relancer et de signer le plus éclatant des comebacks avec ce formidable Approche-toi.
Après l’amour pullulent les libellules / La pluie du corps renonce aux renoncules / Un autre tour, qui n’avance pas recule / C’est parti pour qu’éclatent les cellules / Après la mort, la nuit n’est pas si nulle / La toison d’or éclaire le crépuscule / Quel triste sort, pas dit en préambule / De voir son corps voué aux vestibules
Crépuscule
Bénéficiant de conditions d’enregistrement dignes de ce nom et de la collaboration précieuse de l’épatant Joseph Racaille aux arrangements, Dick Annegarn livrait ici un disque fantastique, l’un des cinq ou dix meilleurs albums francophones de ces vingt dernières années à mes yeux, rien de moins. Annegarn démontrait que ces années loin des projecteurs n’avaient en rien élimé sa fantaisie et sa créativité. Les douze morceaux de ce bien-nommé Approche-toi, tant ce disque nous enveloppe comme une couverture tendrement rugueuse, se jouent en permanence entre ciel et terre, la tête dans les nuages et les pieds bien campés dans le sol. La voix fragile et baraquée, parfois caillouteuse, du bonhomme et ce son chaud comme un champ de blé doré par le soleil confèrent une lumière rustique à l’ensemble, tandis que l’alliance des arrangements soyeux et d’une poésie sans collier ajoutent des ailes aux semelles crottées de ces chansons libres et inspirées.
Nous sommes sobres et solidaires camarades / Nous sommes ivres et nos chimères nous baladent / La bonne nuit nous envahit bien trop tôt / Nous vivrons dans d’autres vies, d’autres eaux
Buvant seul
Dans un entretien accordé aux Inrockuptibles en 2004, Dick Annegarn disait : «Je varie les plaisirs. Je suis un artiste de variétés, stylistiquement. J’adapte la musique et le style verbal selon ce que je veux dire». C’est peu dire que les douze morceaux d’Approche-toi illustrent à merveille la pertinence de ces propos. Annegarn s’approprie les styles qui l’ont nourri au fil de son parcours riche et cahoteux et tous ces éléments constituent autant d’affluents qui viennent abonder le fleuve de ces chansons, qui s’écoule fluide et majestueux. Au fil de l’album, Annegarn s’offre ainsi une excursion vers le jazz manouche (sur le facétieux Les Tchèques) puis s’en va respirer les embruns voluptueux de la bossa sur le sublime Crépuscule. Il ne néglige pas pour autant son amour éternel pour le blues et le folk US mais offre à ces musiques de somptueux arrangements de cordes et de cuivres, tressés la plupart du temps par Joseph Racaille. Ces éruptions orchestrales viennent ainsi embraser Approche-toi, Send my body home ou le génial Orbre. Annegarn multiplie les costumes au fil de ses humeurs. On le retrouve ainsi bluesman aviné (entre Tom Waits et Nougaro) sur Tu mènes ta vie puis les yeux au fond d’un verre profond comme un abîme sur le magnifique et nu Buvant seul. Tantôt il se fend d’une ode enthousiasmante à la pluie (Il pleut), tantôt il rend un bouleversant hommage au poète hongrois Attila Joszef. Mais quelles que soient les humeurs du bonhomme, la fantaisie et le plaisir de jouer brillent de toute part sur ce disque épatant qui se clôt sur les airs orientaux de Rabbi Jésus, morceau gonflé comme une voile par le vent du désert et qui fait miroiter devant nos yeux la Bible et les dunes, l’histoire et la mythe. Et derrière nos paupières closes et nos oreilles enchantées, la musique retombe comme la poussière du soir.
Paraboles de vierges sales, de vierges folles / Y’a pas d’amour sans huile dans la fiole / Parabole du Pharisien qui dit donner beaucoup d’oboles / S’il n’y va pas le pauvre lui y vole / Au paradis des oiseaux / Au paradis des angelots / Au paradis du bien du beau
Rabbi Jésus
Formidable réussite artistique, Approche-toi reçut également un bel accueil critique et un succès public honorable, qui permit de remettre sur le devant de la scène notre Hollandais francophile. Dick Annegarn a depuis confirmé sa bonne santé créatrice en faisant paraître depuis ce petit bijou d’autres disques fort recommandables, dont certains ont déjà eu l’honneur (?) de ce blog, comme Un’ ombre (2002) ou le brillant Soleil du soir (2008). Le dernier disque en date du bonhomme, son Vélo va paru il y a environ deux ans, vaut aussi qu’on y jette une oreille.
3 réponses
[…] du come-back du grand escogriffe hollando-belge, Approche-toi est surtout un des plus beaux albums en français parus durant ce dernier quart de siècle, un vrai […]
[…] découvert Dick Annegarn par la grâce de son somptueux Approche-toi de 1997, guidé vers ses terres par la plume d’un critique admiré. Ayant tendance à […]
[…] les formidables Approche-toi (1997) et Soleil du soir (2008), ma découverte désordonnée de la discographie de Dick Annegarn […]