La danse des morts

Fishbach A ta merci (2017, Entreprise)

Fishbach - A ta merci

Mes quelques fidèles auront sans doute remarqué que ce blog n’était pas franchement porté sur l’actualité musicale et les dernières sorties. Il reflète en ce sens assez bien mon rapport aux nouveautés, une forme de survol vigilant qui fait que je me tiens un minimum au courant des parutions sans m’évertuer à suivre de près les modes et les tendances. Je suis ainsi mon propre rythme de découvertes, naviguant en permanence entre hier, avant-hier et aujourd’hui et glanant au fil de ma veille des noms sur lesquels le hasard et la curiosité me feront me pencher un jour prochain. J’avais ainsi sans doute lu de-ci de-là le nom de Fishbach et c’est sur la foi de ce vague souvenir que j’ai emprunté cet A ta merci à la bibliothèque la plus proche de chez moi. J’ignorais donc à quel point cette jeune Normande d’ascendance Ardennaise avait pu agiter la presse musicale au début de l’année dernière, par la grâce de ce premier album percutant et de prestations scéniques vibrantes.

C’est fini, quelle drôle de sortie / Pourquoi t’as choisi, de t’envoler d’ici / De t’envoler d’ici / Sous le ciel gris / Sous les yeux de tes amis

Le château

J’avoue que la première écoute m’avait laissé une impression mitigée, tant certains de ces morceaux aux racines clairement plongées dans la pop synthétique des années 80 évoquaient dangereusement à mes oreilles le souvenir faisandé de Julie Piétri ou Rose Laurens. Ces influences repoussoirs nourrissaient cependant d’un même mouvement un fascinant brasier dont la flamme finit par insensiblement me captiver, bien plus que je ne l’aurais initialement envisagé. (Flora) Fishbach s’inscrit donc dans cette génération d’artistes français allant puiser leurs influences dans la musique des années 1980 et en balayant l’intégralité du spectre – des froideurs new-wave aux fantaisies électro-pop mutine en passant donc par une variété grand public longtemps peu fréquentable. Mais quand d’autres de ses contemporains arpentent des périmètres très balisés (comme par exemple Lescop), la jeune femme attise son feu en y jetant pêle-mêle Taxi Girl et les Rita Mitsouko, Christophe et Desireless. Fishbach a surtout le mérite de ne jamais jouer à la maline, à farder ses morceaux de références aujourd’hui trendy tout en adressant de multiples clins d’œil à l’auditeur pour lui signifier sa distanciation ironique. Rien de tout ça chez la jeune femme qui habite ses chansons avec une intensité et une urgence qui forcent le respect. Cette force d’engagement lui permet du coup de tenir sur le fil d’une théâtralité qui menace parfois de faire sombrer certaines chansons dans la grandiloquence. Si la dame chancelle, elle parvient toujours à se rétablir pour ne jamais tomber et même la morbidité affichée de nombre de ses textes est toujours contrebalancée par l’énergie d’une ligne mélodique ou une inflexion de cette voix à la gravité troublante qui apporte l’émotion juste.

Parachutiste, de toi, serait-je la cible ? / Puis dans mes disques vise au hasard, au pire / Tu tomberas sur mes caprices pénibles / Vise moi encore, en sémaphore j’existe

Mortel

Parmi les sommets de l’album, on mentionnera en premier lieu le formidable Y crois-tu, merveille de chanson débordante fouettée par les vents marins. Impossible aussi de ne pas céder devant la beauté flottante du magnifique Un beau langage, bien plus à la hauteur des chefs-d’œuvre de l’immense Christophe que les bains d’eau tiède de Christine & the Queens. On ne sera pas étonné non plus de voir la jeune femme allumer un Feu martial et implacable, sur lequel elle apparaît en imposant Phénix noir, grave et incendiaire. C’est encore en obscure déesse que Fishbach s’avance en majesté sur l’impressionnant Mortel, dont les paroles ne peuvent que faire écho aux drames récents ayant frappé le pays (« Jamais rien vu d’aussi mortel que ces tirs au hasard »). Elle pousse même plus loin l’incarnation mortuaire en se drapant dans le suaire de la Faucheuse sur l’électro-pop discoïde de On me dit tu. La mort rôde aussi aux détours du Château, hanté évidemment (par un suicidé) mais sous un ciel miroitant d’étoiles filantes. Ces obsessions morbides s’avèreraient sans doute pesantes si Fishbach n’apportait en contrepoint une sorte de débauche d’énergie, un goût pour l’abandon et la danse euphorique et libératrice, qu’on retrouve sur un Éternité frénétique à l’inspiration plus pop (presque une chute du premier album d’Aline), ou sur un titre comme Le meilleur de la fête.

Assez de bavardage / Les silences sont à mon goût / Taisez-vous / C’est un beau langage / Que de ne rien dire du tout / Voyez vous ?

Un beau langage

Tout n’est certes pas parfait sur ce premier album de la Dieppoise mais cet A ta merci constitue une indéniable promesse et nous entraîne dans une danse des morts aux airs d’intense célébration, vibrante et passionnée.

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