Un délicieux poison
Destroyer Poison season (2015, Dead Oceans)
Mon premier coup de cœur de 2016 sera pour un disque de 2015. Plus qu’un coup de cœur, c’est même une véritable révélation tant j’étais complètement passé à côté de la discographie pourtant foisonnante du Canadien. Découvert grâce aux recommandations avisées d’éclaireurs de confiance (ici et là par exemple), ce Poison season monopolise mes oreilles depuis une bonne quinzaine de jours maintenant, pour un plaisir sans cesse renouvelé.
Oh it sucks whe there’s nothing but gold in those hills
Girl in a sling
Faisons d’abord les (brèves) présentations. Derrière Destroyer se cache (enfin, pas vraiment) la figure de Dan Bejar, natif de Vancouver dont le premier album sous ce pseudonyme un brin guerrier remonte à maintenant vingt ans. Entre son inaugural We’ll build them a golden bridge et ce Poison season, le bonhomme aura livré pas moins de dix albums, sans oublier de multiplier les projets musicaux parallèles, notamment aux côtés des New Pornographers. Si j’ignore à quoi peuvent bien ressembler les neuf épisodes précédents de la discographie de Destroyer, ce dixième numéro est une indéniable réussite, un disque luxuriant et fréquemment enthousiasmant.
She despises the direction the city’s been going in / She rises above it all, cause after all, someone’s gotta go free / And someone’s got to follow the river…
The river
Au fil des treize morceaux de Poison season, Dan Bejar relève la gageure d’être à la fois pluriel et parfaitement cohérent. Destroyer joue une pop protéiforme, richement orchestrée (les arrangements de cordes et de cuivres sont tout bonnement formidables) , qui navigue au gré des chansons entre Frank Sinatra (pas pour la voix qui se rapproche plutôt du timbre de Devendra Banhart) et Divine Comedy, Eric Matthews et David Bowie. Bejar fait également entrer dans sa musique des effluves funk, des rythmiques latines, des réminiscences soul, des tonalités jazzy sans que jamais l’album ne perde son remarquable équilibre. L’ensemble constitue au final un étonnant et jouissif mélange de douceur et de profondeur, d’urgence et de sérénité. Dan Bejar s’y entend à merveille pour mettre sa musique en scène, jouant des rythmes et des éclairages pour mieux accrocher l’auditeur. Et celui-ci demeure captivé tout du long, tant l’album ne recèle quasiment pas de faiblesse.
I’ll take my chances on the road / On the inside I’m an ocean / Like a wheel set into motion into the storm / I’m coming home, I’m coming home
Hell
Poison season s’ouvre sur l’aube orchestrale toute en finesse de Times Square, poison season I, morceau qui reviendra deux autres fois au fil du disque, d’abord réinventé en brillant échantillon de pop classieuse sous influence bowienne (circa 1971-1975) puis repris en clôture, sur la même tonalité intimiste qu’au début, comme une façon de boucler la boucle. Entre ces deux jalons, il s’en sera passé des choses. Destroyer démontre autant de brio dans la pop façon musique de chambre de Hell (quelque part entre Divine Comedy et le trop rare Eric Matthews) que dans le rock débridé – springsteenien époque Born to run – de l’épatant Dream lover. Dan Bejar nous offre aussi son lot de ballades racées, perchées à haute altitude, telles les magnifiques The river, Solace’s bride ou Sun in the sky, qui évoquent rien moins que la majesté intouchable des Apartments de Peter Walsh (et mes fidèles lecteurs savent que cette comparaison n’est pas anodine pour moi). On ne manquera pas d’évoquer le génial Forces from above et sa coda frénétique, comme si la chanson faisait progressivement éclater toutes ses coutures pour mieux s’ensauvager, laissant les percussions et un saxophone en feu exploser au final. Plus loin, Bangkok débute comme un bel inédit de Lambchop avant de revêtir un costume d’apparat digne de Broadway. Sur Midnight meet the rain, Bejar s’inspire ouvertement des musiques de films 70’s, notamment des parties accompagnant les courses-poursuites dans les polars, pour un résultat trépidant et emballant. L’album se termine comme il a commencé, avec ce Times Square, poison season II qui nous ramène d’où l’on vient, sans qu’on puisse oublier la beauté du parcours.
The evening, it progressed like a song
Forces from above
Il me faudra maintenant jeter une oreille sur la discographie antérieure du bonhomme, mais pour l’instant, je pense continuer encore un moment à m’infuser ce délicieux poison, sans craindre la mithridatisation.
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[…] pour ne pas oublier que son Poison season de 2015 est un des plus beaux disques de la décennie, je terminerai pour le plaisir par cet […]