La mort leur va si bien
Dead Man’s Bones Dead Man’s Bones (2009, Anti)
Sur le papier, ce premier (et pour l’heure unique) album de Dead Man’s Bones affiche bien des raisons d’effrayer l’auditeur. Il y a d’abord l’emballage, ce décorum de squelettes, de zombies, de spectres et de maisons hantées, cet imaginaire droit sorti du cerveau en ébullition d’un amateur de films d’horreur. Dead Man’s Bones se présente clairement comme un “concept album” et ce genre de démarche n’a pas toujours – loin s’en faut – débouché sur d’heureuses perspectives artistiques. Les deux compères ici à la manœuvre n’ont par ailleurs pas lésiné sur les clauses du cahier des charges : pas de guitares électriques, pas plus de trois prises pour enregistrer chaque morceau, obligation d’utiliser des instruments dont ils ne savaient pas jouer a priori, présence d’une chorale d’enfants. Quand on aura dit que le fameux acteur oscarisé Ryan Gosling constitue une moitié du duo, on aura vraiment toutes les raisons de craindre un délire de star mégalo au mieux sympathique, au pire ridicule. Et bien on aura tout faux.
There’s something in the shadows / In the corner of your room / A dark heart is beating and waiting for you / There is no open window but the floors still creep / In the room where you sleep
In the room where you sleep
A l’instar d’un réalisateur investissant un genre cinématographique pour y inscrire sa patte, Dead Man’s Bones use de son fil rouge thématique comme d’un formidable terrain de jeu et d’expériences, démontrant qu’une contrainte imposée peut paradoxalement ouvrir grand le champ des possibles. Ryan Gosling et son acolyte Zach Shields font feu de tout bois, habillent leurs humeurs changeantes d’une garde-robe musicale riche et variée. De l’ensemble émane un plaisir réellement communicatif et l’auditeur se retrouve plus d’une fois porté à chanter à l’unisson du chœur d’enfants qui vient soulever certains morceaux telle une houle jubilatoire. Et dans son décor de cimetière brumeux sous la lune pâle, Dead Man’s Bones fait apparaître de merveilleux feux follets, tour à tour joyeux et mélancoliques.
When the leaves go floating away / In the pale moonlight / Bury anchors in our garden / And we can let our heartbeats go
Buried in water
Passés une Intro susurrée en demi-teinte, dont l’effet angoissant tombe quelque peu à plat et un Dead hearts qui sert presque de vestibule, Dead Man’s Bones passe la vitesse supérieure avec un In the room where you sleep qui joue à se (et à nous) faire peur sur un lit de synthétiseur affolé. La chorale du Silverlake Conservatory entre en scène sur la (superbe) ballade élégiaque Buried in water qui laisse quasiment deviner une chevelure diaphane flottant au fond d’une eau verdâtre. Le disque atteint alors d’imposants sommets avec l’enchaînement haut de gamme de My body’s a zombie for you, dont la folie joyeuse décolle presque comme certains titres d’Arcade Fire et la merveille de pop à la mélancolie enjouée de Pa pa power, dont la mélodie crampon n’a de cesse de me hanter chaque semaine depuis ma découverte de cet album. Plus loin, le groupe délivre un Dead man’s bones à faire rougir Nick Cave (même si les sanglots ajoutés alourdissent un brin l’ensemble) et un Werewolf heart somptueux, joué au clair de lune dans une forêt hantée. L’album se conclut par un Flowers grow out of my grave qui claque comme un bouquet final, comme si les foldingues d’ I’m from Barcelona jouait un concert d’Halloween, nous laissant le sourire aux lèvres après trois quarts d’heures de plaisir et de jeu, de talent et de fantaisie.
The smell of my breath / From the blood in your neck / Oh I hold my soul / From the lands unknown / So I can play the strings of your death
My body’s a zombie for you
Loin donc du caprice d’acteur qui voudrait se faire musicien sans en avoir le don, Dead Man’s Bones est un projet musical d’une grande originalité et parfois stupéfiant de beauté. A la fois dérangé et maîtrisé, humble et ambitieux, conceptuel et organique, morbide et enjoué, ce disque réussit à faire pousser des fleurs sur les tombeaux, des arcs-en-ciels sur les ossuaires. On a trouvé la bande-son idéale pour la prochaine Toussaint.
Belle découverte !