Brut de pomme
Weezer Weezer [the green album] (Geffen, 2001)
Rivers Cuomo grandit dans le Massachusetts où il s’intéresse d’abord au metal, exerçant ses talents dans différents petits groupes à l’époque du lycée. A l’heure d’entrer à l’université, Cuomo part s’installer à Los Angeles en même temps qu’il élargit son horizon musical vers le rock indépendant, notamment les Pixies. Il rencontre un bassiste (Matt Sharp) et un batteur (Patrick Wilson) avec lesquels il fonde Weezer en 1993. Le groupe tourne dans les clubs de LA et décroche un contrat avec le label Geffen, aspiré par l’euphorie entourant alors les groupes à guitares suite au passage de la tornade Nirvana. Cuomo et ses compères n’ont pourtant rien de rock stars mais bien plutôt d’étudiants timides et propres sur eux, plus intéressés par leurs études que par une quelconque mythologie destroy.
Un premier album éponyme (connu plus tard sous l’appellation de Blue album) paraît en 1994. Weezer décroche un premier hit avec le formidable Undone (the sweater song) puis un second encore plus grand avec l’impeccable Buddy Holly. Ce succès est amplifié par une série de vidéos malignes et originales réalisées par Spike Jonze, qui permet au groupe de tourner en rotation lourde sur MTV et de se voir rangé par certains dans la catégorie des “petits malins”. Après le succès de ce premier opus, Weezer revient en 1996 avec Pinkerton. En réaction contre certaines critiques, Cuomo refuse d’user des mêmes ficelles et de s’appuyer sur l’originalité de ses clips. Las, Pinkerton est un échec cinglant, assassiné par une partie de la critique et négligé par le public. Cuomo encaisse très mal le coup et sombre dans une profonde dépression, s’enfermant plusieurs mois tel un reclus dans une maison dont il repeint les murs en noir. Pourtant, loin de tomber dans l’oubli, le nom de Weezer gagne en audience. Pinkerton est peu à peu réévalué et fédère autour de lui une cohorte de fans grandissante, qui finit par convaincre le groupe qu’il est temps de remettre le pied à l’étrier et Cuomo qu’un public existe pour ses chansons. C’est à ce moment de l’histoire qu’arrive donc ce troisième album éponyme, vite rebaptisé par les fans The green album.
Weezer creuse ici peu ou prou le même filon que sur son premier album, celui d’une power-pop mâtinée de punk et de metal. Emballées en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire (28 minutes), ces 10 chansons acidulées, brutes de pomme, tracent une série de mélodies imparables au fil d’une électricité naviguant entre la fulgurance des Pixies et la lourdeur du metal. Le disque dégage ainsi une énergie souvent communicative mais sous laquelle sourd le spleen du tourmenté Rivers Cuomo. Appliquant la leçon jadis proférée par de grands maîtres – Beach Boys en tête – Cuomo glisse dans ses mélodies entraînantes des textes souvent sombres, entre peinture des relations amoureuses compliquées et mal-être crampon. Sur l’emblématique et (ô combien) tubesque Island in the sun, Weezer démontre ainsi à quel point un hymne solaire peut receler de coins d’ombre et on ne peut qu’être ému en entendant Cuomo chanter “We’ll never feel bad anymore” comme une supplique.
Même si le disque s’avère inégal, certains titres plus pesants venant à mon sens plomber l’ensemble (Don’t let go ou Smile par exemple), Weezer dégaine quelques pépites marquantes, Island in the sun en tête bien entendu. Le bouleversant O girlfriend de fin d’album brille ainsi de mille feux tandis que Hash pipe se livre à d’étonnants dérapages rageurs. On accordera aussi une mention à l’impeccable Photograph, héritier direct du Buddy Holly de 1994 ou à l’efficace Glorious day.
Porté par le succès mondial d’Island in the sun, The green album permettra à Weezer de décrocher une jolie timbale. Le groupe continue sa route depuis, 5 autres albums étant sortis depuis, le dernier en date étant Hurley en 2010.