La demeure du chaos
Babyshambles Down in Albion (2005, Rough Trade)
On pourrait sans doute reprocher beaucoup de choses à Pete Doherty mais il semble quand même difficile de ne pas admirer – du moins de reconnaître – sa résilience et sa capacité à faire jaillir son talent à travers le chaos qu’a parfois paru être sa vie. On ne sait trop à quel niveau le garçon les situerait sur son échelle personnelle de désordre mais, vu de l’extérieur, les années 2004-2005 apparaissent comme une période particulièrement tumultueuse dans la geste dohertyenne. De l’explosion en vol des Libertines (zébrant néanmoins le ciel d’un formidable éclair terminal) à la formation des Babyshambles, Doherty semble avoir vécu en quelques mois de quoi remplir plusieurs vies, et ce en suivant à la lettre le petit manuel de la rock-star : kilos de drogue, Kate Moss, prison, et tout le tralala…
There’s a lesson I have learnt / If you play with fire you will get burnt
What Katy did next
Fondé avant même la fin officielle des Libertines, Babyshambles allait donc devenir le nouveau véhicule du rock romantique, défoncé et pétulant de ce turbulent et attachant garçon, capable de citer Huysmans au détour d’un riff sans jamais paraître pédant ou ridicule. Flanqué du fidèle Mick Jones (ex-Clash pour les béotiens) aux manettes pour éviter les tonneaux à défaut de le prémunir des sorties de route, Pete Doherty poursuit ici le fil de son histoire, celle de ce jeune homme excessif et doué, amateur éternel de rock et de poésie, fasciné comme un grand enfant par la vie plus grande que lui offraient ces deux Muses au point de s’y brûler avec la plus flagrante innocence.
I heard it said / You had come back from the dead / You were playing so fine / Scooping up the soul of the wine / Now courage my boy / When they look you in the eye / Try not to look too scummy
Back from the dead
Musicalement, on aurait pu craindre le pire, un album bâclé entre deux prises d’héroïne, noyé sous les excès. Et ceux qui ont eu l’occasion d’assister aux prestations scéniques pour le moins erratiques du groupe à l’époque savent à quoi l’album a (en partie) su échapper. On ne criera certes pas au chef-d’œuvre et la fulgurance classieuse et morveuse des Libertines n’est plus vraiment là. Doherty ne compose plus des classiques mais garde en réserve suffisamment de talent pour aligner de vraies bonnes chansons. Bon, on soupçonnera fortement qu’une bonne partie de l’album ait été torchée un peu à la hâte. Down in Albion est un album un peu long, que son auteur aurait pu sans dommage élaguer de quelques rogatons peu digestes, comme ces tentatives reggae poussives (Pentonville” ou Sticks and stones) et ces morceaux en pilotage automatique (In love with a feeling, 8 dead boys). Mais de ce capharnaüm à l’haleine chargée, Pete Doherty parvient quand même à tirer un nombre appréciable de petites pépites. En connaisseur admiratif, il se fend ainsi d’un formidable morceau smithsien en diable (Back from the dead) et embarque avec lui le chœur de Down in the tube station at midnight des Jam sur un roboratif Killamangiro. Le bonhomme réussit à redresser suffisamment des chansons menaçant de s’échouer comme des pachydermes pour qu’on parvienne à les apprécier : ainsi de l’hymne déglingué Fuck forever ou de Pipedown. Avec What Katy did next (clin d’œil au What Katy did des Libertines) , Doherty laisse pleinement deviner ce côté espiègle d’enfant trop vite grandi qui nous le rend si attachant. On n’oubliera pas de mentionner la jolie ballade Albion ou l’épatant Loyalty song qui vient rehausser la fin de l’album, pas plus qu’on omettra le trépidant et tendu La belle et la bête introductif sur lequel Kate Moss herself vient donner la réplique à son cher et tendre de l’époque.
And if I confide in you today / I know you don’t believe a single word I say / I found solace in the flood / And everybody knew that I would / Cause I’m alright / And there’s a slight crack in my chimney
Loyalty song
S’il ne relève certes pas de la même catégorie que les deux immortels albums des Libertines, ce premier opus de Babyshambles démontrait en tout cas que son auteur valait bien plus que les mauvaises raisons qui le propulsaient en une des gazettes people (et musicales parfois). Avec leur drôle de classicisme confus, ces chansons bancales et attachantes nous faisaient désirer entendre la suite. Tous les albums de Doherty nous ont depuis – malgré leurs défauts évidents – fait cet effet là… On attendra donc sans excès d’enthousiasme mais sans jouer les blasés le nouvel album des Libertines annoncé pour septembre.
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