Le lait de la tendresse humaine
Belle and Sebastian Tigermilk (1996, Jeepster)
Certains musiciens ont parfois la chance de trouver la grâce. Elle peut les accompagner le temps d’une seule chanson, d’un album entier, peu peuvent se targuer d’avoir pu conserver cette compagne fugace très longtemps, encore moins durant toute leur discographie. Un retour sur l’intégrale des Écossais de Belle and Sebastian pour préparer ce billet m’aura confirmé que la bande à Stuart Murdoch sut frayer avec cette compagne volage une paire d’années environ, évoluant entre 1996 et 1998 dans une sorte d’éden créatif. Dans ce laps de temps, le groupe fit paraître deux albums – dont un chef-d’œuvre certifié, If you’re feeling sinister – et une poignée de singles d’exception.
The priest in the booth had a photographic memory / For all he had heard / He took all of my sins / And he wrote a pocket novel called “The state that I am in”
The state I am in
Tout commença avec ce Tigermilk qui allait révéler à la face du monde (enfin, à l’origine, d’un tout petit monde) le talent hors normes de Stuart Murdoch et de la troupe qu’il avait peu à peu constituée autour de lui. L’histoire de Tigermilk est en soi peu banale. Stuart Murdoch et Stuart David composent un lot de demos dans le cadre d’un projet de fin d’études à l’Université de Glasgow, une sorte de concours devant déboucher sur la parution d’un 4-titres. Étant données la quantité et la qualité des chansons finalement produites, Murdoch et David se voient offrir d’enregistrer un album entier, pour lequel ils s’entourent d’autres musiciens, donnant ainsi naissance à Belle and Sebastian. Tigermilk paraît sur le label de l’Université uniquement en vinyle à mille exemplaires mais très vite, la rumeur autour du disque enfle vu le niveau exceptionnel des morceaux. Et quand Belle and Sebastian fait paraître son magistral If you’re feeling sinister, devenant la sensation pop de l’année 1997, une cohorte de fans énamourés essaient de se procurer cet introuvable premier opus du groupe, devenu objet de culte. L’album est finalement réédités en 1999 et l’amateur de Belle and Sebastian allait pouvoir y retrouver avec bonheur tous les ingrédients ayant forgé la réussite artistique totale d’ If you’re feeling sinister.
Your obsessions get your known throughout the school for being strange / Making life-size models of the Velvet Underground in clay
Expectations
On retrouve donc ce mélange inouï de candeur et d’audace qui permet de faire décoller à la verticale des mélodies lumineuses. On retrouve ces instrumentations de haut vol au service de ces textes doux-amers, dans lesquels s’entrechoquent les rêves et les douleurs de l’entrée dans l’âge adulte. On retrouve la voix douce de Stuart Murdoch qui semble se faire le confident de nos propres états d’âmes. On retrouve surtout ce formidable éclat, ces chansons qui diffusent leur clarté comme le soleil à travers les frondaisons d’une forêt de printemps et qui nourrissent nos rêveries de leur regard toujours décalé, privilégiant le pas de côté aux chemins balisés. Et si Tigermilk porte en lui les germes de ce que le groupe produira ensuite de meilleur, il ne constitue en rien une simple ébauche mais bien un disque déjà abouti, offrant à l’auditeur une collection de compositions de haute volée qui feraient la fierté de milliers d’apprentis songwriters.
Six months on, the winter’s gone / The disenchanted pony / Left the town with the circus boy / The circus boy got lonely
My wandering days are over
Entre un fulgurant The state I am in introductif (sur lequel on retrouve les claviers qui feront la force ultérieure de Lazy-line painter Jane, l’un des meilleurs titres du groupe) à la beauté consolatrice de Mary Jo, qui évoquerait quelque chose comme un Nick Drake pubère, le disque aligne son lot de petits trésors. Les teintes jazzy de Expectations volètent comme une nuée de papillons devant nos yeux et She’s losing it nous emmène dans une farandole aérienne. On célèbrera aussi la magnificence de la ballade We rule the school ou ce My wandering days are over gracile, qui enfle et s’amplifie pour faire souffler sur nos têtes comme une brise réparatrice. Et si quelques titres paraissent encore un peu verts pour atteindre aux hauteurs foulées par son inépuisable successeur, ce Tigermilk se boira à grandes gorgées rafraîchissantes.
Mary Jo, you’re looking thin / You’re reading a book / “The state I am in” / But oh, it doesn’t help at all
Mary Jo
Après If you’re feeling sinister, Belle and Sebastian cessera de fréquenter les étoiles de façon aussi assidue que pendant cette époque bénie, ces années 1996 et 1997 qui virent le combo écossais transformer en or presque tout ce qu’il touchait. Le groupe a pourtant choisi de poursuivre sa route, loin de l’attention fiévreuse qu’il suscitait alors. Parfois, Murdoch croise encore la grâce qui vient lui souffler quelques airs à l’oreille.