Après quelques semaines bien chargées et quelques frayeurs politiques, revenons un peu à nos moutons mélomanes en poursuivant la série de mes tops par année, avec aujourd’hui ce gros plan sur 2006. En terme de densité, ce millésime s’avèrera finalement un poil moins riche que dans mon souvenir. Les huit albums de tête se sont imposés très nettement sur la concurrence, devançant une masse de bons disques assez interchangeables, dont j’ai finalement choisi de ressortir Lambchop et Grizzly Bear. Le banc des remplaçants est plutôt bien fourni, de Peter von Poehl à Beirut, de Miossec au premier opus solo de Thom Yorke. Dans le détail, le rock américain se taille la part du lion, avec sept représentants sur les dix. La chanson d’ici fait plutôt bonne figure grâce à Dominique A et Sébastien Tellier, Patrick Watson assurant un strapontin pour le Canada. Les Britanniques sont éjectés de mes choix, malgré les Arctic Monkeys qui constituaient la hype de l’année. Kim Gordon (Sonic Youth) et Georgia Hubley (Yo La Tengo) viennent apporter une (trop faible) touche de mixité. Cette sélection est aussi peuplée de bon nombre de figures établies, artistes prolifiques maintenant leur créativité au zénith (Sonic Youth, Yo La Tengo, Dominique A…), seul Patrick Watson plaçant ici un premier album studio. Je vous laisse vous faire votre propre avis.
En habitué de ces colonnes, le groupe mené par l’impeccable Kurt Wagner livre ici un disque sans surprise à son échelle, mais dont la beauté et la simple élégance constituent une inépuisable source d’émerveillement. Tout en retenue, baigné d’une lumineuse mélancolie, Damaged rassure comme un chez-soi, un lieu où le temps s’écoule et où les blessures et les joies se mêlent dans la contemplation du paysage qu’on a l’habitude de voir depuis sa fenêtre. Un disque précieux comme un ami sensible et fidèle.
Sur son deuxième album, le groupe de Brooklyn délivre une musique complexe et foisonnante, un folk-rock psychédélique teinté d’électronique qui réalise sous nos yeux ébahis d’étonnantes acrobaties à un rythme d’escargot. Ces chansons vaporeuses se révèlent au bout du compte précieusement addictives, nous enveloppant dans une torpeur onirique dont on n’a aucune envie de ressortir.
Premier album des Canadiens de Patrick Watson (groupe mené par le dénommé… Patrick Watson), Close to paradise vous garantit effectivement un aller simple pour le paradis. Au fil des 13 morceaux de ce disque splendide, Patrick Watson vous fera toucher le feu et le cristal, entendre le grondement du tonnerre et le rugissement des cascades, contempler les étoiles et le vertige des cimes. Disque enivrant sur lequel le calme précède toujours la tempête, Close to paradise génère un inestimable lot de sensations fortes.
Loin des ambiances de film noir tordu de son premier opus ou de son goût pour l’esbroufe et la provocation plus ou moins naïve, Sébastien Tellier se découvrait ici triste dandy au piano droit, dans un décor dépouillé au possible. Il nous livrait surtout un disque proprement magnifique, mêlant relectures dénudées du meilleur de son répertoire et reprise en apesanteur du pourtant haut perché La dolce vita du grand Christophe. Loin du décorum, le bonhomme confirmait qu’il pouvait être une des plus fines lames de la chanson d’ici.
Se renouveler ou s’enliser ? Les Strokes choisissaient, avec ce 3e album tourbillonnant, de pousser à son acmé la formule qui les avait propulsés au rang d’énièmes sauveurs du rock. Plus de guitares enguirlandées, plus de mélodies en cascade, plus de classe morveuse, plus de coolitude nonchalante : le rock n’est jamais mort, il ne vibre que pour celles et ceux qui savent le caresser. Les Strokes gardaient la main.
Le quatorzième album studio des New yorkais démontre avec brio que longévité et créativité ne sont pas antinomiques. S’il constitue un des disques les plus pop de la carrière du groupe, Rather ripped est aussi un des plus brillants, sur lequel des mélodies fluides sont portées par des guitares aqueuses, avec toute la justesse d’un groupe en pleine maîtrise. La jeunesse sonique est décidément éternelle.
Avec cet album magistral, assumant un lyrisme débordant mais jamais pompier, Dominique A signait une de ses plus belles réussites. Qu’elles soient habitées d’un impressionnant souffle épique ou murmurées tels de lourds secrets, les chansons de L’horizon donnent à entendre un Dominique A plus libre que jamais, s’affirmant pleinement comme un immense songwriter, sûr de ses forces et sans crainte d’afficher ses fragilités. Un très grand disque.
A l’instar de Sonic Youth, le groupe d’Hoboken semble avoir trouvé la source de la fontaine de jouvence et offrait sur son onzième LP un pétaradant florilège de ses capacités. Entre geysers électriques, pop lumineuse, soul potache et ballades torpides, Yo La Tengo livre ici un disque kaléidoscopique, qui relève autant de l’épopée indie-rock que du terrain de jeu multicolore.
Les New yorkais de TV On The Radio faisaient plus que confirmer les promesses telluriques semées par leur formidable premier opus paru deux ans plus tôt. Le groupe creuse ici résolument le sillon d’un rock mutant, mêlant blues tordu, guitares distordues, psychédélisme enfumé et effluves de free-jazz, avec une liberté de ton et une puissance de feu impressionnantes. Pour parler comme les coaches sportifs, une heure jouée à haute intensité qui rendra vos jambes flageolantes et ravira vos neurones. Bien mieux que Tibo In Shape.
Sans contestation possible trône au sommet de ce classement un des plus beaux disques de ce siècle, collection majestueuses de chansons époustouflantes dont chaque écoute me procure ma dose de frissons. Entre ciel et terre, bien ancrés dans une tradition folk et soft-rock mais merveilleusement aériens, ces morceaux se traversent comme des paysages d’une beauté stupéfiantes : plaines et cimes, rivières et vallées, plaines luxuriantes et hauts plateaux surplombants. Un album incroyable qu’on gardera bien près de nos petits coeurs battants.