Crazy in love
Richard Ashcroft Alone with everybody (2000, Virgin)
Après une dizaine d’années d’un parcours chaotique, The Verve allait finalement trouver le moyen de tirer sa révérence sur un splendide feu d’artifice avec l’acclamé – bien qu’inégal – Urban hymns de 1997. Le succès n’ayant pas apaisé les débordements opiacés et les tensions relationnelles incessantes entre les membres du groupe, il apparut à Richard Ashcroft – leader tout en morgue (souvent) et en flamboyance (parfois) du combo de Wigan – que terminer sur un triomphe public et critique n’était pas une mauvaise idée. Le bonhomme reprit donc ses billes et ses chansons pour les défendre sous son nom et donner naissance à son premier album solo, Alone with everybody.
DJ, play a song for the lovers, tonight
A song for the lovers
J’avoue n’avoir été qu’un admirateur intermittent de The Verve, renâclant à avaler toutes les couleuvres du groupe mais j’avais moi aussi courbé l’échine devant la magnificence de leurs plus beaux coups de maître : ces Bittersweet symphony, Sonnet et autres Drugs don’t work classieux et abîmés. On aurait pu craindre de Richard Ashcroft des débuts solo emplis d’esbroufe et de vanité, dopés par les éloges reçus par Urban hymns mais cet Alone with everybody allait surprendre plutôt agréablement. Loin de bomber le torse, Ashcroft se révèle ici plutôt humble et touchant. Certes, il le fait à sa manière – étrange mélange de prétention et de timidité : les arrangements sont opulents, cordes et cuivres se déploient en majesté mais le tout est suffisamment maîtrisé pour ne (presque) jamais verser dans la démonstration creuse. Les chansons tiennent tout simplement la route et pour en avoir écouté quelques unes délivrées dans le plus simple appareil à l’occasion de sessions acoustiques d’époque, j’atteste qu’elles savent conserver en toutes circonstances leur lustre et leur brillance.
I’m out on a beach / Sat on a rock / Thinking of you and the love I’ve got / I saw the devil’s servant / I sent her home / I said bring me your master / I don’t want his dog
On a beach
Musicalement, Ashcroft se sert à toutes les influences qui l’ont nourri, même s’il lorgne davantage du côté de la West Coast que des frimas anglais. La flamboyance enfiévrée de certains morceaux peut néanmoins sans conteste revendiquer un héritage britannique, de la rutilance bowienne à l’effronterie magnifique des Stone Roses. Richard Ashcroft a en tout cas le mérite de réussir son entrée en matière, les premiers morceaux de cet Alone with everybody se révélant réellement impressionnants. On pense bien sûr d’abord au génial A song for the lovers introductif, dont le romantisme enflammé nous laisse à chaque écoute une marque rouge au cœur. Le remarquable I get my beat qui lui succède ralentit le tempo mais distille une lumière chaude, souple et passionnée, traduisant l’espèce de halo énamouré qui enveloppe le disque. On avancera sans risque que le bonhomme devait sérieusement roucouler au moment de composer ces chansons, tant tout exsude le romantisme et est parsemé de déclarations et d’invites à la personne aimée. Et l’album, malgré ses limites, dégage une bien jolie lumière. Parmi les bons moments du disque, on retiendra l’étale et séduisante ballade You on my mind in my sleep ou la pétulance de Crazy world. Sur Money to burn, Ashcroft s’entoure de chœurs gospel qui finalement ne font pas mauvais effet et C’mon people (we’re making it now) est de ces chansons qui procurent une belle et franche joie. Personnellement, j’avoue être moins convaincu par les tentatives folk-rock ou country-rock du garçon, ces On a beach ou Everybody manquant un poil de consistance pour aller titiller l’excellence de leurs modèles, de Gene Clark au Band. Les lueurs chaleureuses de l’album se montrent cependant suffisamment engageantes pour qu’on ne se laisse pas durablement chasser par ses imperfections.
If all we lose is the skin / I’m putting you under within / We’re gonna make this life together
You on my mind in my sleep
J’avoue que je n’ai pas depuis écouté d’autres choses de Richard Ashcroft. Le garçon a fait paraître deux albums sous son nom, Human conditions (2002) et Keys to the world (2006) avant que The Verve ne cède aux sirènes vaseuses de la reformation en 2008 pour un quatrième opus simplement dénommé Forth. L’expérience fut brève (mais on l’espère rémunératrice) et Ashcroft est reparu en 2010 sous l’appellation un brin grotesque de RPA & the United Nations of Sound. Je ne sais pas trop ce qu’il y a glaner dans tout ceci mais je reviens régulièrement prendre une petite dose de Alone with everybody et cela suffit à mon petit plaisir.