La jeune fille aux allumettes
Laura Marling I speak because I can (2010, Virgin)
Fille d’une mère professeure de musique et d’un père propriétaire d’un studio d’enregistrement, la petite Laura Marling embrasse toute jeune la passion familiale. A 16 ans, la jeune fille laisse derrière elle son Hampshire natal pour s’installer à Londres où elle commence à fréquenter une scène de musiciens revendiquant leur appétence pour le folk, de Noah & the Whale (dont elle est quelque temps membre) à Mumford & Sons. Son talent de songwriter se révèle rapidement et elle affiche à peine 18 ans quand paraît son premier album en 2008, Alas, I cannot swim (que je ne connais pas). L’album lui vaut succès critique et public en Angleterre, où elle en écoule plus de 100000 exemplaires et est nominée pour le prestigieux Mercury Prize. Deux ans plus tard, la (toujours) jeune femme publie son deuxième album, I speak because I can.
My children will live just to grow old / But if I sit here and weep / I’ll be blown over by the slightest of breeze
Rambling man
De Neil Young à Palace en passant par Cat Power, Vic Chesnutt ou Nick Drake, je dois aux musiques d’obédience folk quelques uns de mes disques de chevet. Mais ces maîtres exigeants m’ont – à travers leurs différences profondes et leur parenté plus ou moins grande – appris à aimer un folk capable de marier la soie et la ronce, s’ancrant profondément dans une tradition pour mieux la renouveler à la source intarissable d’une expression musicale aux richesses infinies. Nul doute que la jeune Laura Marling peut elle aussi s’inscrire dans cette filiation (même si elle demeure encore à distance respectable des artistes sus-cités). Initiée dès l’enfance aux beautés bousculantes du folk par son père, la demoiselle livre ici un disque d’une imposante maturité pour quelqu’un d’à peine 20 ans. A l’instar de ses grandes sœurs américaines Alela Diane ou Laura Veirs (et à un degré moindre, admettons-le), Laura Marling habite des chansons qui semblent plus âgées qu’elle et qui semblent la traverser autant qu’elle leur donne vie. Et si ses premiers morceaux furent dévoilés sur MySpace, on imagine sans peine cette musique interprétée dans un festival folk des sixties avec Joan Baez en tête d’affiche ou dans une quelconque bourgade du Sud des États-Unis en des temps d’avant la rencontre entre le folk et l’électricité.
You were so smart then in your jacket and coat / My softest red scarf was warming your throat / Winter was on us at the end of my nose / And I never love England more than when covered in snow
Goodbye England
Si Laura Marling s’inscrit dans une tradition folk, elle s’abreuve autant à son affluent britannique (de Fairport Convention au troisième album de Led Zeppelin, cf. l’inaugural et hanté Devil’s spoke) qu’à la source américaine. On pense ainsi beaucoup à la merveilleuse Laura Veirs sur le somptueux Blackberry stone et l’ombre d’Alela Diane plane sur une bonne partie du disque. Marling navigue entre chansons puissantes, parcourues d’un imposant souffle dramatique comme le torrentiel Alpha shallows ou le déjà cité Devil’s spoke et ballades fragiles et lumineuses (Blackberry stone, Goodbye England ou le magnifique Hope in the air). Entre terreur et douceur, elle place également un Rambling man de cavalcade et termine sur un I speak because I can emplie d’une dignité douloureuse. Et sous ses airs graves et austères, I speak because I can est rempli d’arrangements délicats, là un violoncelle, ici un piano, ou là encore un banjo venant creuser davantage la profondeur de champ de l’ensemble.
There is a man that I know / For seventeen years he never spoke / Guessed he had nothing to say (Hope in the air)
Certes, on relèvera bien une ou deux faiblesses comme ces Made by maid ou What he wrote sans véritable relief, mais l’album demeure globalement d’une grande qualité, révélant une personnalité belle et tranchante, petite fille aux allumettes capable d’allumer de flamboyants feux de joie.
I speak because I can décrochera à son tour un réel succès public en Angleterre. La demoiselle a depuis fait paraître un troisième opus en 2011, A creature I don’t know que je ne connais pas non plus, mais je découvre juste Laura Marling donc cela viendra sans doute en son temps.