Le chant des partisans
The Housemartins London 0 Hull 4 (1986, Go ! Discs)
Commençons par les faits, rien que les faits : fin 1983, Paul Heaton et Stan Cullimore – qui habitent dans la même rue à Hull – fondent les Housemartins. D’abord duo puis rapidement quatuor, le groupe voit sa composition fluctuer plusieurs fois avant de se stabiliser avec Norman Cook à la basse et Hugh Whittaker à la batterie. Après les premiers singles Flag day et Sheep, les Housemartins crèvent l’écran en Angleterre avec Happy hour et leur premier album, London 0 Hull 4 , qui paraît fin 1986, décroche une belle timbale en devenant rien moins que disque de platine.
Too many Florence Nightingales / Not enough Robin Hoods / Too many halos not enough heroes / Coming up with the goods
Flag day
Voilà pour les faits, parlons maintenant musique. Les Housemartins confirment que l’antienne imbécile qui voudrait que les années 1980 furent une décennie sinistrée sur le plan musical ne tient pas la route une seconde. Avec ces quatre gars de Hull, fiers provinciaux affichant sur la pochette de leur disque la volonté de mettre une rouste à la capitale, la pop anglaise tenait là une belle brochette d’outsiders capable d’aligner une enfilade de chansons enjouées aux mélodies roboratives et aux textes saignants. Loin de la flamboyance et du génie des plus brillants et plus doués Smiths et autres Pale Fountains, la bande de Paul Heaton n’en manque pas moins de panache et d’un talent certain pour les airs à siffler sous la douche, à l’énergie communicative. Nourris à la sève stimulante du British Beat ou des Jam et à l’amour des harmonies vocales, les Housemartins épatent par leur tonus et leur verdeur ; et c’est bien au bois vert qu’on pense ici, robuste avec une pointe d’amertume, tant cette musique tout en nerfs marie allégresse et âpreté. On pense plusieurs fois à la fougue des merveilleux Pale Fountains (le souffle en moins) ou à la tension des premiers R.E.M. (le mystère en moins). Les Housemartins combinent ce langage musical à des prises de position très marquées politiquement, Heaton – comme tant d’autres groupes anglais de l’époque – vomissant le thatchérisme alors au pouvoir et livrant des textes engagés à gauche. En fait, Paul Heaton véhicule un drôle de mélange entre marxisme et christianisme, affichant ce message sans ambiguïté à même le verso de la pochette de cet album : “Dont try gate crashing a party full of bankers. Burn the house down! Take Jesus – Take Marx – Take Hope“. Et ces textes combatifs, souvent sarcastiques donnent une portée singulière à la musique pleine de vigueur du combo, lui conférant comme un surcroît de vivacité. Les Housemartins avancent ainsi le poing levé, habillant leurs chants de partisans de mélodies frondeuses jouées le sourire aux lèvres.
Sitting on a fence is a man who looks up to his guardian / Sitting on a fence is a man who swings from poll to poll / Sitting on a fence is a man who sees both sides of both sides / Sitting on a fence is a man who looks down on opinion
Sitting on a fence
L’album s’ouvre par une succession de tubes plus réjouissants les uns que les autres, du primesautier Happy hour qui narre la soirée assommante d’un employé avec son patron au vibrant Flag day en passant par le pétulant Sitting on a fence qui dresse le portrait d’un apathique, d’un désengagé qui reste sur sa barrière à regarder passer les trains. J’accorderai une mention toute particulière à l’épatant Get up off our knees et à sa mélodie au piano qui coule fluide et limpide. Des morceaux comme Sheep ou We’re not deep constituent également d’excellents remontants que la Sécurité Sociale pourrait rembourser contre la dépression. La fin de l’album montre un autre visage du groupe, mettant en avant son goût pour le gospel et les harmonies vocales. On retrouve ainsi deux titres a cappella (dont une relecture du People get ready de Curtis Mayfield), le genre constituant une des spécialités du quatuor qui décrochera son plus gros tube anglais avec un morceau dans ce registre, Caravan of love. Et le gospel enfiévré I’ll be your shelter (just like a shelter) démontre une fois de plus la ferveur et l’énergie dont le groupe est capable.
Don’t shoot someone tomorrow that you can shoot today (Get up off our knees)
Les Housemartins enchaîneront un deuxième album dès l’année suivante, l’estimable The people who grinned themselves to death puis se sépareront sans vague dans la foulée ou presque. Paul Heaton s’en ira former Beautiful South, autre groupe à succès outre-Manche tandis que Norman Cook ira vers des aventures plus rythmées, devenant un célèbre DJ qui connaîtra la gloire planétaire quelques années plus tard sous le nom de Fatboy Slim. Mais c’est une autre histoire…