Plein soleil et ciel voilé
Sunhouse Crazy on the weekend (1998, Independiente)
Il est des groupes qui traversent le ciel comme des étoiles filantes, qui n’ont besoin que d’un seul album, parfois d’une seule chanson pour marquer profondément nos territoires intimes et joliment scarifier nos petits cœurs sensibles. Certains ont l’éclat de supernovas et deviennent légendaires (les La’s par exemple), d’autres sont moins brillants mais leur flamme n’en est pas moins chaleureuse. Les Anglais de Sunhouse disparurent ainsi à peine arrivés : on ne les avait pas vu venir, on ne les vit pas disparaître, le groupe s’effaçant peu de temps après la parution de ce Crazy on the weekend. Groupe météorique donc, injustement oublié comme tant d’autres et dont chaque écoute énamourée de ce somptueux disque mal luné confirme les qualités. A ma petite échelle, j’essaierai de contribuer ce soir à lui rendre un peu de la lumière que sa musique peut dispenser.
I’m a sucker for my woman / Hair, legs, breast and feet / Wasted all my money no / It ‘ain’t funny / We can’t even eat
Crazy on the weekend
L’histoire de Sunhouse se noue d’abord autour d’un film. Quand le réalisateur Shane Meadows sollicite son ami Gavin Clarke pour composer la musique de son premier long métrage, Small time, ce dernier réunit autour de lui trois musiciens. Le film rencontre un certain écho en Angleterre et le groupe bâti un peu à la hâte se voit proposer un contrat discographique, chose proprement impensable pour ces garçons issus de la classe ouvrière. Sunhouse enregistre alors ce Crazy on the weekend après s’être baptisé du nom d’un restaurant chinois que ses membres avaient l’habitude de fréquenter, affirmant à l’époque en interview “qu’en choisissant le nom d’un restaurant pour le groupe on pourrait y manger gratis jusqu’à la fin de nos jours…”
I met you at the seventh province dance / You were waiting for tomorrow / Living on next week / The boys were calling out your name / When I first heard you speak
Chasing the dream
J’ignore si les quatre membres de Sunhouse fréquentent encore aujourd’hui cette gargote mais je sais que ce Crazy on the weekend est une table de choix. Le long de ces douze morceaux, on entend un groupe jouant, les yeux résolument fixés de l’autre côté de l’Atlantique, une musique hors du temps et hors des modes. Les chansons de Sunhouse puisent dans un certain folk-rock américain, celui de Dylan ou du Band, mâtinant le tout de tonalités soul, tonalités qui jaillissent de chaque inflexion de la voix d’ours de Gavin Clarke. Au fil des écoutes, les morceaux de Crazy on the weekend dégagent une puissance étonnante et impriment durablement les esprits. Sunhouse pourrait figurer une sorte de cousin anglais de Grant Lee Buffalo pour cette façon d’insuffler fièvre et lyrisme dans une musique bercée d’Americana, mais un Grant Lee Buffalo friand de northern soul et de fish and chips, arpentant les rues aux maisons de briques des cités ouvrières anglaises plutôt que les avenues de Los Angeles ou de San Francisco.
Will you save me, I’m hanging by my neck / My body is a corpse, my heart is almost dead
Swing low
Le charme de Sunhouse tient pour beaucoup au chant de Gavin Clarke, ce chant de chien battu, buriné, qui semble porter tout un monde sur ses épaules, qui titube sous le poids et pourtant tient debout et relève la tête. Les plus beaux moments du disque surviennent quand la musique soutient ce chant sur le point de crouler pour l’aider à se redresser et tenter avec lui d’attraper les étoiles. On pense en premier lieu à ce Good day to die qui se déploie et décolle, fiévreux, beau et urgent ; on pense aussi à ce Chasing the dream et ses claviers glorieux qui semblent à la fois labourer la terre et toucher les nuages, fabuleux morceau de soul-rock qui avance et avance, à la poursuite de son rêve. Quand le groupe baisse le ton, la voix de Clarke se rapproche d’un murmure tout en raucité, et cela donne la grâce de Spinning round the sun ou ce Lips presque étouffé, sublime ballade au piano rehaussée par quelques traits de cordes. Ces mêmes cordes viennent illuminer le merveilleux Hard sun (sur lequel rien moins que Sinéad O’Connor vient poser sa voix pour faire les chœurs) tandis que Swing low et sa rythmique syncopée évoque presque le trip-hop de Morcheeba, nourri lui aussi au folk-rock américain des 70’s. Le groupe sait parfaitement varier les climats, tantôt nourrissant ses morceaux de l’électricité d’un soir d’orage (Swing low), tantôt déchaînant la tempête comme sur Animal ou Loud crowd. En résulte au final un album proprement remarquable, chaud et expressif, mélancolique et batailleur, tendre et féroce.
Do you remember when you first lit eyes on my face ? / Beautiful people surrounded and grounded your grace / I said d’you know that this planet we’re on / Is just rolling out in space / Until our time has come
Spinning round the sun
Dans une interview donnée aux Inrockuptibles à la sortie de l’album, Gavin Clarke déclarait : “Le pire pour nous serait de tomber dans le cliché du groupe rock’n’roll qui sort trois bons disques et devient une institution qui se dégrade pendant les vingt années suivantes. Je veux être fier de tous nos disques, parce que notre musique est une question d’honnêteté.” J’ignore si le bonhomme est fier de son éphémère aventure musicale avec Sunhouse ; il le peut largement. Je ne sais pas où il en est aujourd’hui, j’ai ouï dire qu’il avait un temps œuvré dans un groupe obscur dénommé Clayhill mais je n’ai pas pris la peine encore de vérifier. Peut-être est-il en train de “tourner autour du soleil” ou de “poursuivre un rêve”, qui sait ?
[MAJ] : Gavin Clark est malheureusement décédé en février 2015, après un long combat contre l’alcoolisme.
Quel beau commentaire j approuve tout ce qui y est dit.
J écoute regulierement cet album il me fait chaud au coeur
Merci à vous d en avoir parlé.
Merci à vous pour votre commentaire. J’apprécie toujours d’avoir des retours de mes quelques lecteurs et lectrices.