Le prince du music-hall
Rufus Wainwright S/T (1998, Dreamworks)
Fils d’un couple de chanteurs folk reconnus, Loudon Wainwright III et Kate Mc Garrigle, Rufus Wainwright baigne dès son plus jeune âge dans un environnement éminemment propice à la découverte musicale. Dès l’âge de 13 ans, il se produit ainsi régulièrement sur scène aux côtés de sa mère, sa sœur et sa tante. Il étudie quelques temps la musique classique à Montréal mais se laisse assez vite aspirer par les plaisirs de la nuit canadienne. Il enregistre une démo que son père transmet à son ami Van Dyke Parks qui la transmet à son tour à Lenny Waronker, directeur artistique chez Dreamworks. Béni des dieux, il décroche illico son premier contrat et publie donc ce premier album éponyme en 1998.
Pas question cependant de ne voir en Rufus Wainwright qu’un fils à papa jouant de son nom et des relations de famille pour placer sa musique. Wainwright fait plutôt partie de la confrérie jalousée de ceux qui ont tout pour eux. Beau comme un dieu, il se révèle aussi un songwriter hors normes et un chanteur éblouissant, entouré qui plus est de fidèles et brillants assistants, de Van Dyke Parks à Jon Brion.
Sur ce premier opus, Wainwright expose une écriture fortement inspirée de sa passion pour le cabaret, le music-hall et l’art lyrique. Il se crée ainsi son propre théâtre, se met en scène et choisit avec soin décors et lumières pour y placer des mélodies majuscules serties d’arrangements majestueux. Sa musique s’avance et se déploie dans ses plus beaux atours (usant d’une gamme d’instruments très riche, d’accordéon en trompettes en passant par le piano ou le violon) mais demeure d’une fragilité bouleversante, tant notre homme sait s’exposer avec grâce. Sa voix sans pareille vient encore rehausser la beauté de ses compositions et derrière l’apparat et le stuc, Wainwright ne masque rien de ses peines et de ses doutes. Se dépeignant en éternel amoureux, il ne s’épargne aucune des exaltations et des blessures naissant du désir et des attachements qu’on voudrait voir durer.
Difficile du coup de mettre en exergue un titre parmi d’autres sur ce disque extrêmement cohérent. Dès l’introductif Foolish love, Rufus Wainwright ne masque rien de ses influences, le morceau démarrant seul au piano avant que de somptueux arrangements ne viennent lui souffler dans les voiles. Sur ce disque riche en sommets émotionnels et esthétiques, on retiendra la suprême élégance du merveilleux Danny boy ou la pureté diaphane de Barcelona. On s’extasiera aussi devant les coups d’éclat de l’éclatant triptyque April fools / Beauty mark (clin d’œil à sa maman) / Matinee idol. On vibrera sur l’exceptionnel et vibrant In my arms : “Looking at Hospital Victoria / Feeling as helpless as the Elephant man / Wish you were here to chain you up without shame / In my arms tonight”. Naviguant entre la perte et la joie, surfant sur tous les états et les intermittences du cœur, Wainwright conclut ce très grand disque par l’extraordinaire Imaginary love, qui sonne à nos oreilles comme le manifeste intime d’un incurable romantique: “Every kind of love / Or at least my kind of love / Must be an imaginary love / To start with”.
Depuis ce coup d’essai magistral, l’ami Rufus Wainwright mène une assez belle carrière, son romantisme trouvant un bel écho de par chez nous. En 2001, il fait paraître le remarquable Poses puis en 2004 et 2005, le diptyque Want one / Want two. Deux autres disques sont parus l’an dernier Release the stars et Rufus does Judy at Carnegie Hall, captation d’un spectacle qui vit cet éternel fan de music-hall interpréter sur scène les chansons de son idole Judy Garland.
4 réponses
[…] collier, ramenant des brassées de nuage et de lumière mêlés. Quelque part entre Phil Ochs et un Rufus Wainwright modeste, Bird tire d’influences multiples une fraîcheur et une grâce roboratives. […]
[…] une chanson et il serait dommage d’oublier ce somptueux titre bleu nuit extrait du prodigieux premier album du Canadien. L’exubérante Barcelone devient ici endroit rêvé pour un ailleurs et […]
[…] la remarque d’abord (à peine), Martha assurant une partie des chœurs de Rufus sur son fabuleux premier album solo. Après diverses expériences – dont une comédie musicale – , Martha Wainwright fait […]
[…] de maître de premier album, dont j’ai déjà eu le loisir – et le plaisir – de parler dans ces pages, le petit prodige américano-canadien doublait brillamment la mise avec ce remarquable deuxième […]