Trash Can Sinatras I’ve seen everything (1993, Go ! Discs)
Encore un groupe qui pourrait revendiquer sa carte de membre de la confrérie des losers magnifiques. Voilà des gens qui n’eurent de cesse de poursuivre une quête éperdue et sublime de la chanson pop parfaite pour ne parvenir qu’à recueillir des miettes de succès d’estime avec leur premier EP et finir par se faire lourder par Polygram au moment du rachat par cette boîte de leur label. Pourtant, ceux dont les oreilles ont eu la chance de croiser ces chansons savent que le groupe était bien parvenu à ses fins et produisit au mitan des années 1990 deux disques d’une beauté simple et vibrante.
Three feet of snow fell on the walnut road / Two feet trudged / Round the corner came the sound of bad dreams / The flame is old, the Thames is cold
Earlies
Les Trash Can Sinatras voient le jour à la fin des années 80 sur la côte Ouest de l’Écosse, à Kilmarnock, ville sinistrée par les ravages de la désindustrialisation. Pourtant, cette désolation urbaine n’est perceptible qu’en filigrane dans leur musique. Le groupe joue en effet une pop boisée, faite d’ombres et de lumière, portant haut la pureté de ses lignes mélodiques et l’élégance de ses arrangements mais souvent minée par une profonde mélancolie. Celle-ci exsude notamment des textes de Frank Reader, emplis d’une auto-dépréciation très souvent pondérée par un sens de l’autodérision.
Over the moon and under the influence / Here’s what he said « Take me away » / Really don’t want to be here / And nobody wants me here at all
Easy read
A l’origine pensé par ses membres comme un simple groupe de reprises, les Trash Can Sinatras sont repérés par une maison de disques qui publie leur premier album, Cake, en 1990. Grâce au single Obscurity knocks, le combo se fait remarquer, notamment aux États-Unis, où cette pop à guitares parvient à attirer l’attention des radios étudiantes. Il faudra donc trois ans aux Écossais pour accoucher de leur deuxième album, mais le résultat est tout bonnement formidable. Encensé par la critique à l’époque, notamment en France, I’ve seen everything se compose de 14 chansons pop de haute volée, pouvant revendiquer l’influence des regrettés Go-Betweens ou de Prefab Sprout. La musique de Trash Can Sinatras s’entoure le plus souvent d’un halo de mystère, donnant à l’auditeur l’impression de traverser un rêve ou un souvenir doux-amer. Le groupe semble tendre sans relâche vers un idéal de beauté et fait montre d’une foi en sa musique parfois bouleversante, sur des morceaux interprétés le cœur au bord des lèvres par le chanteur et leader Frank Reader.
I get a little red and I’ll burst rather than wax and melt / I get a little wrecked / And recalled how I cursed the fact of your tortured trust / Now that’s gone I was so wrong / We know where our love lies / Through the catacombs we roam
Send for Henny
Le résultat atteint ainsi à certains moments un niveau vraiment exceptionnel. C’est le cas par exemple des deux morceaux introductifs, Easy read et Hayfever, ce dernier porté par un piano éblouissant et des arpèges cristallins. Je resterai toujours bouleversé par la façon qu’a Frank Reader d’entonner « Only one way, away, away… » sur Hayfever, des étoiles et des larmes pleins les yeux, et les pieds dans la merde. Le reste du disque comporte son lot de perles scintillantes, comme les finement ouvragées Earlies et The perfect reminder, petite chose fragile et délicate absolument admirable. I’m immortal se fait presque primesautier dans une spirale de guitares étincelantes et le morceau-titre vous laissera le cœur serré et le sourire aux lèvres. Le groupe sait aussi durcir le ton sans perdre une once de sa fragilité, comme sur cet épatant Bloodrush aux guitares smithsiennes. Et à plusieurs reprises, le groupe semble avoir laissé entrer un ange dans le studio, dont on croirait entendre le battement d’ailes sur des merveilles comme Send for Henny ou Earlies. Worked a miracle chante Frank Reader, on n’en est certes pas loin.
I don’t remember what you said or did / That made you so attractive
The perfect reminder
Le groupe produira en 1996 un troisième album tout aussi réussi – sinon davantage – , A happy pocket, qui contient aussi son lot de merveilles et dont je reparlerai certainement un de ces jours. Par la suite, congédié par son label, le groupe disparut avant de refaire surface en 2004 avec Weightlifting. Un nouvel album du groupe est paru en 2009, intitulé In the music mais que je n’ai pas écouté.