Retrouvailles
Vic Chesnutt Ghetto bells (2005, New West Records)
Il y avait bien longtemps que je n’avais eu l’occasion d’écouter un album de Vic Chesnutt. Il faut dire qu’entre 1998 et 2003, notre miraculeux paralytique souffrit de par chez nous d’une distribution quasi inexistante, étant de toutes façons trimbalé de label en label, mais poursuivant néanmoins sa route avec opiniâtreté. Mes lecteurs habituels savent tout le bien que je pense du bonhomme, chérissant notamment son Is the actor happy? de 1995 comme un des plus beaux trésors cachés de l’histoire du rock. J’étais donc assez intrigué de ces retrouvailles, même si je n’éprouvais pas un manque profond vis-à-vis de son absence, juste un léger regret nuancé par la certitude d’avoir tiré plus qu’espéré de son inépuisable répertoire du mitan des années 1990.
Dixième album solo du bonhomme, ce Ghetto bells confirme d’abord le goût avéré de Chesnutt pour les collaborations et les rencontres. Souvent présenté à ses débuts comme un misanthrope atrabilaire, jetant à la face du monde ses vérités dérangeantes de paralytique à moitié alcoolique, Chesnutt se révéla en fait au fil des années comme un musicien avide d’ouvrir son univers aux compagnonnages les plus variés. Ainsi, après avoir collaboré entre autres avec Bob Mould, Michael Stipe, Victoria Williams ou Lambchop, Chesnutt convie ici à s’asseoir avec lui le guitariste de jazz Bill Frisell ou l’épatant Van Dyke Parks, venu notamment placer ici ou là quelques enluminures d’accordéon.
Ceci étant, difficile de ne pas avouer une certaine déception à la première écoute de cet album, tant celui-ci apparaît en-deça des intouchables sommets de Is the actor happy? On se dit alors que le temps a passé, que Chesnutt et nous avons fait chacun notre chemin et ne trouvons aujourd’hui plus grand chose à nous dire. Chesnutt n’est plus ici l’artisan un peu fruste du folk revêche de ses premiers opus ou le faiseur de miracles de ses plus beaux moments. Notre homme délivre ici une musique crépusculaire, plus apaisée, plus produite aussi, mais un peu trop délayée à mon goût, perdant du coup une part de l’intensité émotionnelle qui rendait chacune de ses notes vibrantes. Chesnutt est cependant trop doué pour avoir perdu la main et son disque recèle son lot de pépites, encore une fois extraites des insondables gisements de la tradition country-folk américaine. On retiendra ainsi le superbe Virginia, chanson d’amour tragique porté par un arrangement de cordes de Van Dyke Parks. Sur What do you mean, Chesnutt démontre qu’il sait toujours léviter au besoin, échappant à la pesanteur sans perdre en gravité. On accordera aussi une mention à la lente dérive de Forthright ou à la violence contenue de Rambunctious clouds. Sur The garden, Chesnutt revient un instant à un folk nu et bouleversant, et l’album se conclut sur l’inquiétant Gnats, rappelant que le bonhomme est loin d’être en paix avec ses fêlures.
Malgré la pointe de déception initiale, j’étais quand même heureux de reprendre date avec Vic Chesnutt, heureux de suivre son évolution. Chesnutt semble depuis bénéficier d’une distribution digne de ce nom, poursuivant son œuvre avec le remarqué North star deserter de 2007 et Dark developments paru l’an dernier. Un nouvel album, At the cut vient de paraître.
Pas de réponses
[…] Vic Chesnutt va se hisser au septième ciel avec son album suivant Is the actor happy? (1995) qui reste encore aujourd’hui un de mes disques préférés de tous les temps (dans les 50 meilleurs à coup sûr). Ce qui est curieux, c’est qu’après About to choke paru en 1996, j’ai complètement perdu de vue Vic Chesnutt alors que j’aimais beaucoup son travail. Et en réécoutant ses disques aujourd’hui, je demeure admiratif. En 1998, il a sorti un album en collaboration avec Lambchop The salesman and Bernadette que je n’ai pas écouté puis son label le virera ce qui rendra sa distribution en France des plus aléatoires. Quand il aura refait surface en 2003 avec Silver lake, je serai en train de m’intéresser à d’autres et je n’ai pas pris la peine de chercher à écouter ses albums. C’est dommage, il faudra que je mette la main dessus. [J'ai depuis eu l'occasion d'écouter Ghetto bells dont j'ai parlé ici.] […]