Le monde comme il va
Arnaud Fleurent-Didier La reproduction (2010, Sony Music)
Il m’aura finalement fallu plus de trois ans avant d’écouter cet album qui fit pas mal parler à sa sortie. On y verra sans doute la preuve de mon attachement tout relatif à coller à l’actualité musicale et de ma tendance à laisser passer les vagues pour mieux en apprécier les traces. Bien sûr, je n’avais pas pu passer à côté du formidable “France Culture” mais n’avais pas eu l’occasion ou éprouvé le besoin d’aller voir plus loin, d’autres musiques m’ayant alors appelé avec plus d’insistance.
On ne m’a pas dit comment faire avec les filles / Comment faire avec l’argent / Comment faire avec les morts / Il fallait trouver comment vivre avec demi frère, demi sœur, demi morts, demi compagnes, maîtresses et remariés, alcooliques, pas français / Fils de gauche tu milites, milite / Fils de droite, hérite, profite
France Culture
Arnaud Fleurent-Didier apparaît (timidement) sur les radars au mitan des années 1990 quand son éphémère groupe de l’époque attire l’attention du magazine Magic. Un premier album solo suit en 1998, Chansons françaises, puis un deuxième cinq ans plus tard, Portrait du jeune homme en artiste. En 2005, Fleurent-Didier provoque un certain buzz sur Internet avec sa mise en musique du fameux discours de Dominique de Villepin à l’ONU contre la guerre en Irak. Après de nombreuses années passées dans un semi-anonymat, Fleurent-Didier entrait donc en pleine lumière avec La reproduction et il le faisait en beauté.
Je ne m’habitue pas aux choses qui finissent / Depuis tout petit c’est un peu mon vice
Ne sois pas trop exigeant
Il y aurait pourtant des raisons de ne pas apprécier Arnaud Fleurent-Didier. De mauvaises d’abord, qui se focaliseraient sur ses airs de bobo parisien un peu cuistre, qui utilise le titre d’un ouvrage majeur de Pierre Bourdieu pour intituler son disque et qui pourrait facilement passer pour un poseur prétentieux. De bonnes ensuite, qui pointeraient ces évidentes limites vocales qui pourraient agacer et qui nuisent un brin à la qualité de l’album. Mais il serait honnêtement difficile de passer à côté de ces chansons, porteuses d’une ambition musicale assez peu commune dans la pop d’ici et fièrement assumée.
Sur My Space on rigole bien / On se fait des blagues et plein de copains / On s’envoie des images marrantes / Des photos des actus étonnantes / Tous les chanteurs ont leur morceau / Comme ils sont bien comme ils sont beaux
My Space oddity
Fleurent-Didier parvient en effet à s’inscrire sans rougir de la comparaison dans une lignée d’orfèvres de la pop d’ici, de Polnareff à Katerine en passant par Michel Legrand et Gainsbourg (cf. France Culture). Mais si le jeune homme puise son inspiration musicale essentiellement dans les années 1970, la modernité de son propos prévient toute accusation de passéisme. Des orchestrations le plus souvent somptueuses accompagnent des textes percutants, tournant autour d’une poignée de thèmes cruciaux avec une acuité sensible, empreinte de pas mal d’humour et d’un brin de cruauté. Le garçon nous parle donc de relations amoureuses plus ou moins foireuses (Imbécile heureux – très Katerine première époque), de la solitude de l’homme moderne (Ne sois pas trop exigeant ou l’excellent My Space oddity) et de ce que les parents transmettent à leurs enfants, malgré eux le plus souvent (le génial et inépuisable France Culture, le bouleversant Si on se dit pas tout ou le fascinant et ébouriffant diptyque Mémé 68 / Pépé 44). On accordera aussi une mention particulière à l’épatant Reproductions” à la prestance chaloupée digne du meilleur Phoenix.
C’est vrai qu’on n’a jamais beaucoup parlé / Toi et moi ou alors pas comme ça / Mais faut un temps pour tout c’est vrai papa
Si on se dit pas tout
Quelque part entre Sébastien Tellier, Katerine et Florent Marchet, Arnaud Fleurent-Didier trace un sillon bien à lui dans le paysage de la pop à la française, dandy esthète pas très à l’aise dans son époque mais qui sait bien qu’il faut faire avec, et qui essaie comme tant d’autres de composer avec le monde comme il va.
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[…] comment vieillira La reproduction, l’album de la révélation de cet alors trentenaire parisien au début de cette décennie […]