La maison de cristal
The Nits Ting (1992, Columbia)
C’est un disque qui ne ressemble à aucun autre par un groupe qui ne ressemble à personne. Un disque dont chaque écoute, année après année, paraît renforcer l’incroyable brillance et dont les frimas et les lueurs semblent toujours plus faire écho aux nôtres. Un disque si fragile et si fort qu’on sait qu’on peinera quoi qu’on y fasse à lui rendre justice en quelques lignes, en quelques mots.
I am waiting / At the bus stop / Ting ting / With my grilfriend / She is pregnant / Like a raindrop / Ting ting / And the donkey / And the bull / Are standing next to me
Ting
J’ai découvert les Nits par 3 titres extraits d’une Black session de France Inter, 3 « classiques » du groupe (Nescio, In the Dutch mountains, Adieu sweet Bahnhof) si l’on peut utiliser ce terme pour un combo qui sévit depuis bientôt 40 ans à l’abri des yeux du plus grand nombre mais qui a su fédérer autour de lui l’affection sans bornes d’une cohorte de fidèles. J’ai ensuite acquis l’excellente compilation Nest (1995), porte d’entrée idéale de leur pays des merveilles. Puis ce fut ce Ting dont je n’allais percer les secrets qu’au fil des ans. Car si Ting est un chef-d’œuvre, ses atours de glace et de cristal peuvent se révéler plus intimidants que d’autres albums de nos Hollandais volants préférés, comme le formidable Wool (2000) par exemple.
Here comes the yellow boat on the river / She is sleeping and I will leave her
Yellow boat
Avec Ting, les Nits touchent à une sorte de quintessence rare, quelque chose comme un moment de grâce, une épure d’une force expressive insondable. Ting est un disque sur lequel chaque note semble placée au bon endroit, et sur lequel la musique laisse toute sa part au silence, comme chez d’autres humbles conquérants de l’impossible, de Robert Wyatt à Lambchop en passant par le Peter Walsh de Fête foraine.
A l’écoute de Ting, on voit des paysages enneigés, des enfants patinant au loin sur un lac gelé, des arbres recouverts de givre, un homme arpentant les allées d’un parc les mains dans les poches, sa respiration l’entourant d’un halo de fumée. A l’écoute de Ting, on pense au cristal, au diamant, au feu dans l’âtre qui recompose à l’envi des formes sur les murs comme se remodèlent incessamment en nous sentiments et émotions.
I saw the house on the hill / It bloomed like a flower / In the summer rain / Tell me fire where the river bends / Tell me river when the fire ends
House on the hill
Sur ce disque sans guitare, les claviers donnent aussi bien le la de la richesse mélodique qu’ils assurent une bonne part de l’architecture rythmique, le travail du batteur et percussionniste Rob Kloet apportant de son côté un souffle merveilleux. A l’écoute de Ting, on éprouvera alors l’urgence oppressante d’un Cars & cars de film noir comme l’élévation euphorique du lumineux I try. Le feu consumera nos âmes (l’extraordinaire Fire in my head) et on restera sans voix devant la poésie pétillante de Ting ou de Soap bubble box. Et on se noiera dans les eaux de River comme on se perdra dans les méandres mélancoliques de S.L.A.
Sometimes it’s a sunny day / You lift your head and walk away
I try
Vingt ans après, Ting demeure cette étoile accrochée au firmament par une drôle de troupe malicieuse pilotée par l’épatant Henk Hofstede. Le groupe a poursuivi depuis son œuvre discrète et étincelante, démontrant à chaque nouvelle sortie son inépuisable sève créatrice. Le dernier opus en date des Nits, Malpensa, est paru l’an dernier. On soulignera également qu’en sus de toutes leurs qualités discographiques, les Nits sont un formidable groupe de scène, dont chacun des concerts agit comme un roboratif baume au cœur. S’ils passent près de chez vous, faites le déplacement…