Même les cowboys ont du vague à l’âme

Cowboy Junkies The Trinity session (1988, BMG)

Cowboy Junkies - The Trinity session

Après plusieurs expériences musicales sans grand écho du côté de sa cité natale de Toronto (Canada) à la fin des années 1970 puis en Angleterre, Michael Timmins regagne ses pénates au mitan des années 1980. Flanqué de son fidèle complice Alan Anton à la basse, il s’adjoint les services de son frère Peter à la batterie et surtout de sa jeune sœur Margo au chant et le quatuor se baptise joliment les Cowboy Junkies. Un premier album quasi intégralement composé de reprises blues, folk ou country (de Robert Johnson au Springsteen de Nebraska) paraît dans l’indifférence générale en 1986, Whites off earth now ! mais la lumière jaillira des vitraux d’une église avec le deuxième album du groupe, cette inépuisable Trinity session.

Misguided angel hangin’ over me / Heart like a Gabriel, pure and white as ivory / Soul like a Lucifer, black and cold like a piece of lead / Misguided angel, love you ’til I’m dead

Misguided angel

Enregistré en une nuit lors d’une session de novembre à l’Église de la Sainte Trinité de Toronto (d’où le titre), ce disque sublime brille tel une étoile solitaire dans le paysage musical de l’époque et va préfigurer tout le revival country-folk-blues qui déferlera sur l’Amérique (et sur mon cœur et mes oreilles) dans la décennie suivante. Et nous qui chérissions à 20 ans la somptueuse lenteur de groupes comme Spain, Low ou Mojave 3 découvrions à la première écoute de cette Trinity session qu’une partie de l’ADN de ces artistes admirés venait de là, de ces chansons escargots se déployant paresseuses et magnifiques à la lueur des cierges. Le temps d’une session touchée par la grâce (la solennité des lieux peut-être), la voix de Margo Timmins se dévoilait tour à tour sensuelle et bouleversée, la guitare de Michael Timmins soufflait des volutes s’élevant telles des bulles de savon emplies d’opium tandis qu’une ribambelle d’instruments (accordéon, mandoline, harmonica) ajoutait encore un peu d’espace à tout cela. Rarement en tout cas groupe aura aussi bien choisi son nom, les Cowboy Junkies trempant leurs omniprésentes références au blues, à la country et au folk dans la torpeur narcotique du Velvet Underground le plus atmosphérique, celui de Ocean ou du Live 69.

I  buried him down by water / Cause that’s where he liked to be / And every night when the moon is high / I go there and weep openly

To love is to bury

Tout l’album se joue donc dans une sorte de léthargie cotonneuse, une ambiance somnambule nimbée du chatoiement des chandelles. Le groupe alterne ses propres compositions avec de nombreuses reprises sur lesquelles il démontre son formidable talent pour la réinterprétation. Les Cowboy Junkies font partie de ces groupes capables de s’approprier les chansons des autres, aussi marquantes soient elles. Parmi les hauts faits de l’album, on retrouve ainsi une exceptionnelle relecture de l’immortel Sweet Jane du Velvet Underground (que Lou Reed adoubera, lui pourtant peu avare de compliments) ; le groupe revisite aussi le merveilleux Blue moon et délivre un Blue moon revisited (song for Elvis) beau à pleurer, bouquet de fleurs élégamment déposé aux pieds du King. Dans ce registre de la reprise de haute volée, celle du I’m so lonesome I could cry de Hank Williams se joue aussi sur les cimes, la voix de Margo et la guitare de Michael rivalisant de grâce pour un lamento hébété proprement déchirant. Mais le groupe démontre aussi que ses propres compositions tiennent la route, entre un Misguided angel d’une blancheur de communiant (pour l’éternelle histoire de la jeune fille de bonne famille éprise du mauvais garçon) et un I don’t get it tout de sensualité ondulante, qui n’est pas sans rappeler les beautés futures de Spain ou de Timber Timbre. Cette ambiance jazzy et enfumée se retrouve aussi sur le conclusif Walking after midnight et c’est bien ainsi qu’on s’imagine écoutant cette musique, le casque sur les oreilles, le froid aux lèvres et marchant sous la lumière douce et pâle des réverbères. On n’omettra pas de mentionner aussi la country éthérée de To love is to bury (ah, ces soupirs d’accordéon !), qui inspira peut-être les complaintes à frémir de Tarnation, ou le blues asphalté de 200 more miles, qui défile aussi lentement que les kilomètres sous les yeux du protagoniste de la chanson.

I’ve got 200 more miles of rain asphalt in line / Before I sleep / But there’ll be no warm sheets or welcoming arms / To fall into tonight

200 more miles

Curieusement (ou pas), The Trinity session demeure aujourd’hui encore le seul album des Cowboy Junkies que j’ai pris le temps d’écouter. Les cowboys et les anges qui passent ici m’ont toujours maintenu dans un bel engourdissement et, capturé dans cet intérieur douillet, je n’ai jamais eu l’envie ni l’énergie d’aller parcourir plus avant la discographie du groupe. Juste d’appuyer encore sur « play » et de regarder ces notes et cette voix langoureuses monter vers le plafond.

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