Entre gris clair et gris foncé
The Cure Faith (1981, Elektra)
Un an à peine après les premiers frimas recouvrant Seventeen seconds, The Cure allait faire descendre la température d’encore plusieurs degrés avec ce troisième album, pièce pivot de ce qui constituera une affolante trilogie quand sortira l’époustouflant Pornography en 1982.
Resserré autour d’une formule en trio qui demeure aux yeux des fans la formation idéale du groupe – Robert Smith, Simon Gallup, Lol Tolhurst – , The Cure s’aventure ici plus avant dans les territoires défrichés sur son précédent opus. A l’image du décor désolé aux contours indistincts qui illustre la pochette, la grisaille semble avoir désormais tout envahi, s’infiltrant dans les cœurs et l’âme de Smith et de ses musiciens. Les couleurs du monde alentour apparaissent alors comme délavées et la musique du groupe agit comme un filtre tamisant le bruit et la fureur extérieurs en un fascinant nuancier de gris. Rien de neutre pourtant dans la monochromie de ces chansons, mais l’expression sidérante d’une angoisse qui semblait alors travailler en profondeur tout un pan du rock anglais de l’époque. Entre gris clair et gris foncé, Smith manifeste tour à tour le dégoût, la tentation de la résignation, le vertige du vide, la peur de la mort et la recherche de l’espoir quand il n’y a plus rien autour.
Musicalement, Faith abandonne les vestiges pop qui figuraient encore sur Seventeen seconds (M ou Play for today) pour se libérer entièrement de la structure couplet-refrain. La basse reptilienne de Gallup confère à ces morceaux l’ossature de leur trame hypnotique et claviers et guitare élaborent ces étranges cathédrales dans lesquelles la voix de Smith vient résonner ad libitum. Poursuivant sur la voie tracée par Seventeen seconds le morceau, The Cure aligne donc ces chansons comme des litanies, ces Holy hour, ces Other voices, ces Funeral party. Autant de chansons insaisissables et belles, qui gagnent l’auditeur insidieusement, sans jamais paraître se livrer totalement. Et sous les cendres, au fond de ce paysage anthracite brille cette lueur, cette colère comme une braise qui semble chercher sur quoi se porter et qui fait carburer Primary ou Doubt. On retrouve enfin cette colère comme un espoir, flamme luttant contre le vide sur le prodigieux morceau-titre, ce Faith terminal qui débute par “I can’t carry on this way” pour se conclure par ce vers récité comme un mantra “There’s nothing left but faith”.
De cette flamme tremblante naîtra le grand incendie de Pornography…
3 réponses
[…] une seconde fois le groupe de Robert Smith avec ce titre extrait du hiératique et magnifique Faith. Le morceau s’avère en tous cas idéal pour sceller le sort tragique du pauvre Jack Dawson : […]
[…] progressivement pour arriver à une forme de climax rageur, convoquant les fantômes brumeux du Faith de The Cure. Ce type d’emportement presque spasmodique se retrouve aussi dans la partie […]
[…] The Cure s’enfoncera plus en avant dans les ténèbres avec les paysages pétrifiés de Faith puis le rejet du monde et le dégoût de soi portés par le groupe exploseront dans la rage […]