L’étoile immobile
Mazzy Star Among my swan (1996, Capitol)
Trois ans après son sidérant chef-d’œuvre de 1993, le capiteux So tonight that I might see, Mazzy Star faisait paraître ce troisième album studio avec sur les épaules le poids des attentes élevées suscitées chez toutes celles et tous ceux qui avaient succombé aux fragrances envoûtantes de son précédent opus. Dans mon billet à propos de ce disque fondamental, j’avais écrit que le groupe, entre son premier album et son majestueux successeur, jouait la même musique mais le faisait cent fois mieux. Ainsi, si She hangs brightly figurait une estimable ébauche, l’essai encore un peu vert d’un talent en maturation, So tonight that I might see constituait une indéniable grande œuvre. On sait qu’il est souvent difficile de donner une suite à un disque majeur ; il serait tentant d’écrire ici que cet Among my swan confirmait la règle et commençait de plus à sentir la copie.
They say every man goes blind in his heart / They say everybody steals somebody’s heart away / And I’ve been wondering why you let me down / And I been taking it all for granted
Flowers in December
Ce n’est pas chez ces gens-là qu’il faudra chercher les révolutions, guetter les tables renversées ou les remises en question radicales. Comme insensible au bruit du monde, Mazzy Star reprend son canevas musical peu ou prou exactement où il l’avait laissé. David Roback et Hope Sandoval alignent ainsi, comme sur leurs deux albums précédents, douze morceaux mêlant folk, pop, blues, rock psychédélique et traits de gospel, le tout sous le patronage du Velvet Underground et de Bob Dylan. Mais là où So tonight that I might see nous maintenait fermement sous son charme captivant, cette fois, l’attention faiblit, la redite pointe son nez et on se prend à établir au fil des titres des comparaisons défavorables avec les chansons de l’album précédent. Rose blood tente sans génie de suivre les traces de l’immense Fade into you, Still cold ne semble qu’un succédané de Unreflected tandis que Umbilical rappelle So tonight that I might see sans jamais pouvoir lui faire de l’ombre.
Everybody seems so far away from me (Look on down from the bridge)
Look on down from the bridge
Pourtant, si ce vertige de l’immobilité, cette stratégie du surplace peuvent se révéler crispants ou décevants, on ne peut qu’admettre que le groupe conserve sa capacité à s’élever à des niveaux de beauté auxquels peu de ses contemporains peuvent prétendre. On n’a ainsi pas souvent l’occasion d’entendre des choses aussi réussies que ces Flowers in December, ces Rhymes of an hour ou ces All your sisters. Et si Mazzy Star reste accroché à son rocher, quelques subtiles variations ont quand même pu pénétrer sa coquille. Flowers in December ou I’ve been let down baignent dans une clarté acoustique peu souvent entrevue dans la musique du groupe tandis que la guitare de William Reid (Jesus & Mary Chain) vient incendier joliment le final de Take everything. L’album se termine par un Look on down from the bridge d’une sublime lenteur, qui déploie sa mélancolie quasi morbide (que regarde-t-elle depuis le pont ?) tandis qu’un clavier languide déroule son tapis sous les pas de la guitare de Roback et du chant sans pareil d’Hope Sandoval. Et c’est bien ce chant qui constitue la botte secrète de Mazzy Star, cette voix qui emplit l’espace de son absence, qui désarme et enveloppe à la fois.
Cannot hear what you’re saying / Could I tell you so / And I can’t leave my troubles / And I’m going home
Among my swan
Alors que So tonight that I might see avait apporté au groupe un début de reconnaissance publique, Among my swan se plantera en beauté. Le groupe s’arrêta un an plus tard pour une pause qu’on put longtemps croire définitive. On retrouvait Sandoval et Roback de-ci, de-là, la première nommé faisant par exemple paraître un très bel album en 2001, Bavarian fruit bread. Et puis l’an dernier, Mazzy Star est sorti de son silence avec un nouvel opus, Seasons of your day, reprenant comme si de rien n’était le fil de son histoire.
2 réponses
[…] sorte de prêtresse païenne que pouvait figurer Sandoval. Le troisième opus du groupe – Among my swan – avait néanmoins laissé entrevoir des signes (légers) d’essoufflement et on ne fut […]
[…] Star sortira un autre album Among my swan en 1996, sur lequel rien n’aura encore une fois semblé bouger, mais une partie du charme se […]