Nouveau départ

Morrissey Viva hate (1988, EMI)

Morrissey - Viva hate

Il n’aura fallu que six mois à Morrissey pour se lancer en solo après la séparation des Smiths, comme s’il fallait tourner la page au plus vite et refermer le couvercle sur une aventure aussi intense et marquante, de peur que le passé ne vous assaille. Les cendres de son groupe mythique encore fumantes (ont-elles jamais été éteintes?), Morrissey embarquait donc un batteur, une section de cordes, Vini Reilly à la guitare (de The Durutti Column) et son vieux complice Stephen Street – déjà aux manettes derrière l’intouchable The Queen is dead et ici compositeur de l’essentiel des morceaux – pour livrer un premier album en tout point remarquable.

On retrouve ici Morrisey chanteur d’exception et parolier hors normes, maniant comme personne ironie mordante et auto-dépréciation, mélancolie égotiste et romantisme rageur. On retrouve aussi un Morrissey cherchant sa voie, et naviguant entre plusieurs styles pour définir le sien, entre rock tendu (voire brutal), ballades brumeuses, pop smithienne et lyrisme instrumental. On retrouve surtout un Morrissey inspiré et batailleur, empli de vigueur et de verve, semblant affirmer haut et fort qu’il peut exister sans eux, qu’il peut exister sans lui (et on pense évidemment à Johnny Marr pour les béotiens en Smiths). Et si l’on pressent que la rupture fut difficile, on sent notre homme comme libéré, conscient que l’histoire était finie et qu’il était temps d’aller de l’avant…

Quoi qu’il en soit, sur ce Viva hate, Morrissey nous livre quelques unes des meilleures chansons de toute sa carrière solo. L’album s’ouvre sur un étonnant et violent Alsatian cousin, toutes en guitares bouillantes et tendues, qui dut sans doute dérouter les inconditionnels des Smiths mais qui s’avère au final réellement convaincant. Le meilleur est néanmoins à venir… C’est d’abord le classieux et désormais classique Everyday is like Sunday, peinture épatante de l’ennui d’une petite station balnéaire sur fond de pop emphatique: « This is the coastal town / That they forgot to close down / Armageddon… come Armageddon! ». Bien sûr, la marque des Smiths demeure présente et on retrouve les traces de cet ADN sur Suedehead, le génial I don’t mind if you forget me (« Rejection is something / But rejection from a fool is cruel ») ou le bouleversant Break up the family, qui rappelle le souvenir des plus belles ballades du groupe et  contient également quelques confessions troublantes dont notre homme a le secret: « I’m so glad to grow older / To move away from those awful times ». Parmi les sommets du disque, impossible de passer sous silence l’extraordinaire Late night, Maudlin street, évocation d’un souvenir visiblement douloureux à travers un morceau lent et brumeux, soulignant là l’acuité d’une sensation, ici le flou de la mémoire, le tout enserré dans les arpèges de Vini Reilly. Ces mêmes arpèges font briller le rutilant et moqueur Bengali in platforms. En fin d’album, Morrissey se fend d’un ahurissant Margaret on the guillotine, déclaration haineuse envers la sinistre Mme Thatcher, fantasme meurtrier affleurant dans un décor vaporeux: « The kind people / Have a wonderful dream / Margaret on the guillotine ». On se demandera d’ailleurs qui – en tous cas par chez nous – aurait aujourd’hui l’audace d’écrire un morceau qui s’intitulerait Nicolas au gibet, et qui vaudrait sans doute à son auteur d’être traduit devant les tribunaux.

Morrissey poursuit depuis une carrière solo forte de neuf (si je ne m’abuse) albums solo – hors live et compilations diverses. Il ne parviendra finalement qu’épisodiquement à retrouver l’inspiration de ce premier opus, si ce n’est bien entendu sur son chef-d’œuvre Vauxhall & I de 1994. Il n’en demeure pas moins que le personnage et sa musique ont une place toute particulière pour moi, et que même ses albums les plus poussifs ne manquent jamais de charme à mes oreilles. Mais celui-là ne peut qu’être recommandé.

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